Comme nous tous Gérard, Michel Bosquet, (un pseudo prémonitoire ?) André Gorz, arrivait du Rift africain via Lucie. Mais, malgré un détour par les Balkans, lui se souvenait du long voyage de l’Espèce humaine et des souffrances endurées.
Gérard était un petit corps, une grosse tête et un gros cœur.
Je me souviens d’un repas organisé par Claude Perdriel, avec des Polytechniciens de la direction d’EDF, boulevard Saint-Germain dans un restaurant aujourd’hui disparu, au coin de la rue du Dragon,. Gérard écoutait le chœur des anges technocrates nous prêcher l’innocuité du Nucléaire. Il écoutait modestement, puis on entendait sa voix basse qui claquait comme une serrure bien huilée : il ne les croyait pas.
Lui-même avait été ingénieur.
Gérard n’était pas un intellectuel arrêté. Il avançait en silence.Je me souviens d’une conférence de presse dans une chambre de l’hôtel Bersolys rue de Lille, en 1970. Gérard était assis par terre et écoutait un des prophètes de l’écologie américaine David Brower, qui venait de quitter la direction du Sierra Club et de fonder Friends of the Earth à San Francisco. Il débarquait à Paris pour saluer la création des Amis de la Terre. Il égrainait ces constats qui sont devenus des banalités et que Paul et Anne Erhlich venaient d’énoncer : l’épuisement des ressources, la prolifération humaine, l’empoisonnement des milieux de vie, l’emballement des technologies. Il reprenait la formule de Buckminster Fuller du Vaisseau Spatial Terre…
Gérard se taisait. Il appartenait à un cercle de pensée marxiste, parisien où aucun de ces concepts n’était considéré, ni même soupçonné. Mai 68 avait laissé d’autres échos.
Lui il réfléchissait.
Dans les années qui suivirent, dans le Nouvel Observateur et dans le Sauvage, il développa des idées scandaleuses, extrémistes, « écologiques »pour les tenants de l’orthodoxie de la croissance, qu’ils soient de gauche ou de droite.
Il les théorisa ensuite dans des livres fondateurs dont « Ecologie et politique ».
Jamais il ne se laissa intimider par les aparatchiks de l’extrême gauche qui considéraient l’écologie comme réactionnaire, avant de se peindre à leur tour en vert pour entreprendre la reconquête d’un électorat qui leur échappait.
Pas plus qu’il ne se soucia des accusations d’être un ennemi du progrès par les tenants de l’establishment économique et financier.
Je me souviens de Gérard et de sa femme Dorine dans le bureau des éditions Galilée rue Linné, où elle travaillait, me lisant les dernières et ébouriffantes envolées d’Illich sur l’école, la santé, l’urbanisme…
La dernière injure faite à Gérard fut la construction d’une centrale nucléaire dans la région de Vosnon, où il avait décidé de se retirer avec Dorine.
Là s’est terminée avec grandeur, leur migration depuis le Rift.
Alain HERVE
Complément communiqué par Daniel PAUL :
L’ « errance identitaire » de Gorz est vraiment étonnante. Il en a été « victime » dès son enfance : né Gerhard Hirsch, il devient Gérard Horst en 1930 quand son père se convertit au catholicisme. Au Nouvel Obs, on lui conseille de changer ce nom à consonance germanique et il prend le nom de Michel Bosquet. C’est je crois à la publication d’Ecologie et politique qu’il bascule volontairement sur le pseudonyme d’André Gorz en posant son regard sur les jumelles de son père…qui portaient ce nom de fabrique. Notons en passant qu’il avait « quitté » sa langue maternelle pour le français, une façon, disait-il de « divorcer » d’avec cette mère dominatrice et antisémite. (voir l’interview de Noudelmann sur France-Culture). Daniel PAUL