Maja baptise les poules. (suite…)
L’année du Dragon (2012) débuta dans une douceur climatique qui nous rendit l’âme quiète et dolente, une pousse de la stévia sortit de l’humus, les jacinthes exhalaient un parfum de sacristie. L’année du Lièvre (2011) se termina dans la déconfiture de la Croissance, les sceptiques ricanaient, les Importants plastronnaient pour mieux dissimuler leur désarroi et le fruit de leurs rapines. Alors commença cette drôle d’Attente en points de suspension…
Nous étions à la fin du repas, nous devisions sur l’année prochaine, chacun selon ses humeurs et son caractère.
Qui fut le premier à proposer les divinations ? Georges, peut-être, qui versa le marc sur la soucoupe de Delft (Cafédomancie), l’interprétation fut hasardeuse : 2012 serait couci-couça.
L’Alomancie (divination par le sel) fut plus bavarde : 2012 serait dure à avaler.
La Crommyomancie (par les oignons) révéla qu’elle serait bête-à-pleurer, surtout en mars.
La Tytomancie (par les fromages) nous décrivit une année de vaches grasses, de AAA gambadant dans des prairies vertes et odorantes.
La Mélomancie (par les pommes) fut décevante, en revanche l’Oomancie (par les oeufs) montra 2012 comme elliptique, avec du bacon et des cèpes, bien relevée et légèrement baveuse.
Nous en restâmes là, l’aube pointait. Georges souriait en observant le ciel (Uranomancie).
Ils dansèrent encore très longtemps. La nuit était venue. Georges observait la grande Ourse et Sagitarius, Andromèda se laissait deviner.
Des comètes passèrent,un satellite égaré glissa vers le sud, un étrange halo vert balaya la nuit. Ils partirent en chuchotant.
Là-bas, les balises de la passe clignotaient en cadence.
Georges regagna sa chambre. Il s’allongea. Au plafond, les geckos albinos se tenaient immobiles, leurs flancs palpitaient doucement.
C’est à cet endroit précis, à marée montante, dans le parfum des eucalyptus dorés que Georges apprit que les neutrinos étaient arrivés soixante nanosecondes avant les protons, en violant les équations.
Du coup, le café eût un autre goût, les mails pressants de Berthe aussi, les relevés bancaires même, perdirent leur peu de consistance.
La Réalité dévaluée s’effilocha, la terrasse se mit à osciller puis à flotter en clapotant.
Georges dériva en pleine Relativité généralisée, au fond assez heureux.
Non, Georges ne s’était pas égaré, juste éloigné des sentiers balisés. Ariana l’avait conduit à son village où on l’avait accueilli avec chaleur car c’était la fête. On célébrait les Anciens. Il prit part au banquet, on trinqua, on chanta les éloges des disparus de l’année, comme ce touriste imprudent tombé dans un ravin, près de là. L’alcool déliait les âmes et les langues, ainsi Georges apprit qu’on pratiquait ici un cannibalisme aimable et mesuré, convenable et bourgeois, rien ne se perdait, c’était la règle. Les plats se succédaient, on servit un ragoût de strophaires, de psylocybes et de vesses de loup et les imaginations flambèrent.
L’après-midi passa.L’exubérance du banquet avait fait place à une morosité pesante.
Georges partit avant que le soleil ne disparaisse derrière les montagnes, Malgré les demandes pressantes d’Ariane, il ne voulut pas rester la nuit, il déclina l’offre de l’accompagner dans les passes dangereuses et les éboulis . On le regarda s’éloigner à regret…