par Alain Hervé
A voté… Cette formule sacramentelle qui accompagne la chute du bulletin de vote dans l’urne donne une substance éphémère au phénomène dit démocratique.
L’auteur du choix exprimé se retire la poitrine gonflée de la sensation vertigineuse d’avoir participé à l’intronisation d’un nouveau chef de tribu. Un mécanisme obscurément mathématique permet de proclamer en deux temps et trois mouvements le nom d’un chef de l’État. Opération digne des plus éblouissants numéros de prestidigitation.
Foin de toutes ces simagrées régaliennes qui nécessitaient le doigt de Dieu pour désigner l’élu. Démodés la projection de saint chrême, la pose d’une lourde et coûteuse couronne sur un front douteux,
le brandissement d’un sceptre pénien doré, la bénédiction d’un complice religieux agréé et mitré. Bazars démodés.
Puisque nous avons la chance unique de participer à l’époque moderne, privilège qui fut refusé à nos prédécesseurs, nous votons.
Devant le bureau de vote réglementairement aménagé dans une classe de CE2, nous sommes gratifiés de cet orgasme citoyen qui nous saisit lorsque nous sommes invités à signer le registre hautement administratif que nous présente le responsable du bureau de vote.
La détumescence suit rapidement. On réalise qu’ayant eu à choisir entre deux présidents possibles, dont aucun n’a la moindre idée de ce qu’est le monde dans lequel il vit, on a choisi le plus flou. Avec l’espoir qu’un jour il comprendra. Les jours, les mois passent… La nouvelle classe politique additionne les milliards, retranche les chômeurs, multiplie par les kilowatts, divise par la fréquence des passages des rames de métro sur la ligne deux et sort triomphalement de son chapeau que, dans deux, trois ans, cinq au pire, tous les problèmes qui nous tracassent seront résolus. La démocratie fonctionne à plein régime.
Et pourtant nous persistons dans notre croyance en la démocratie. De même que nous n’avons pas cédé à la tentation facile et somme toute irresponsable de l’abstention, nous invoquons l’étymologie : démos kratos, appartenant au peuple, nous nous trouvons impliqués dans la gouvernance de l’État. Et bien au-delà du seul vote législatif.
De quelle manière ? Membres de la société civile, nous nous exprimons par les associations.
Des centaines d’associations pour la défense de la marmotte, de la carotte sauvage, jusqu’à la défense de l’espèce humaine, œuvrent pour corriger les errances du pouvoir politique.
Si nos élus d’un jour atteints de faiblesse cérébrale n’ont pas compris, des centaines de milliers d’individus citoyens, eux, ont compris la menace d’un changement climatique brutal, l’épuisement des matières premières, l’accroissement démographique exponentiel de l’espèce humaine, le désastre sanitaire de l’agriculture chimique, la cancérisation du tissu urbain, la nocivité de l’air que nous respirons, la pénurie planétaire de l’eau potable, la dramatique menace nucléaire… Tout cela assez loin de l’ubuesque crise financière et économique…