par Ghislain Nicaise
Nostalgia is not anymore what it used to be (1).
A l’annonce du décès de François Cavanna, j’ai lu en entier le Charlie Hebdo qui lui était consacré et une foule de souvenirs sont remontés à la surface.
Je n’ai vu Cavanna qu’une seule fois, c’était à la première grande manifestation antinucléaire, le 10 juillet 1971, sur le site de la centrale du Bugey. Sa grande taille, sa moustache, permettaient de le reconnaitre de loin. Je l’ai identifié tout de suite car j’avais pu voir souvent sa photo dans Hara-Kiri, le journal mensuel qu’on ne trouvait pas en kiosque, du moins pas au début. Je n’ai pas lu tous ses livres, je le ferai peut-être un jour, peut-être pas. Je me souviens du français clair et net des Ritals, de son papa avec sa boite à outils, et de l’histoire des Russkoffs, le STO et Maria. Je me souviens d’un livre de fiction sur la société préhistorique (La déesse mère) qu’à la différence des autobiographies, j’ai trouvé mauvais. Je me souviens qu’il a eu 19 sur 20 à une épreuve écrite de philo du bac, organisée pour quelques écrivains qui avaient accepté de se prêter au jeu, alors que Paul Guth, professeur de lettres, auteur reconnu, s’était fait étriller.
Stop-crève
J’ai écrit une fois à Cavanna, c’était pendant sa croisade “stop-crève”. Il faisait appel aux biologistes pour qu’ils travaillent à permettre la vie éternelle, et je me sentais concerné. J’y avais déjà réfléchi, à la suite de diverses lectures. C’est un thème qui a inspiré plusieurs auteurs de science-fiction, qui en ont exploré les conséquences sociologiques (pour moi la bonne science-fiction n’est que de la sociologie expérimentale, débarrassée des contraintes académiques). Assez stupidement, je lui ai expliqué qu’à défaut de sa mémoire comportementale, sa mémoire génétique serait prolongée après sa mort par ses enfants (il était très discret sur le sujet mais j’ai su qu’il en avait plusieurs) et que la promotion de nouvelles théories scientifiques (le progrès qu’il admirait) était principalement assurée par la disparition des mandarins qui avaient bâti le consensus en vigueur. Il ne m’a pas répondu et il a eu raison.
Hara-Kiri
Le sous- titre “journal bête et méchant” désarmait par avance la critique des esprits conformistes. Le mauvais goût des montages photos me ravissait, autant qu’il déplaisait à mon père, lecteur du Canard Enchaîné. L’absence voulue de jeux de mots, de calembours marquait une rupture avec la tradition satyrique incarnée par Le Canard. Grâce aux photos, les visages des collaborateurs, ces dessinateurs que j’appréciait, m’étaient familiers, Cabu, Reiser, Wolinski, Gébé…Lorsque Hara-kiri hebdo a commencé à paraître, je n’en ai raté aucun numéro. Je crains que la collection de ces incunables n’ait été vouée au recyclage lors d’un nettoyage de la cave entrepris en mon absence mais j’ai retrouvé récemment en caisse la collection complète de La Gueule Ouverte, le journal qui “annonçait la fin du monde”.
Lorsqu’en 1970 nous nous sommes retrouvés dans un avion à hélices de la Cubana de Aviacion en route vers La Havane (2), j’ai aussitôt reconnu Wolinski et après un moment d’hésitation je suis allé lui parler. Pour moi il était le meilleur illustrateur de mai 68 : je m’en serais voulu de passer de longues heures à quelques rangées de sièges de distance sans faire l’effort de secouer ma timidité. A l’arrivée nous avons été logés dans le même hôtel, le Nacional, il nous montrait ses dessins au bord de la piscine. Il m’a expliqué les rapports entre Bernier (le professeur Choron, père de Michèle Bernier) et Cavanna, et tout un pan de la genèse de Hara-Kiri qui à l’époque n’était pas public (tout cela est maintenant sur internet !).
L’écologisme
La manifestation Bugey 01 avait été organisée par Pierre Fournier, le dessinateur-essayiste mort prématurément, celui qui écrivait les plus longs articles dans Hara-Kiri Hebdo, qui a fondé La Gueule Ouverte et qui a converti à l’écologisme un partie non négligeable de ma tranche d’âge. Je n’ai jamais vu Pierre Fournier mais j’ai eu l’honneur d’être caricaturé par lui à l’occasion d’une conférence publique sur le thème de la vie en communauté. J’étais intervenu dans la discussion pour dire que la vie en communauté ne me semblait pas dissociable de l’écologie, ce qui a plu à Pierre Fournier ; c’était d’ailleurs probablement inspiré par ses articles. A la réflexion, il a un peu trop schématisé mon propos, pour autant que je m’en souvienne. Nous étions les ancêtres des bobos, rêvant d’aller manger du riz complet en Ardèche, certains passaient à l’acte, assez bien caricaturés par le film “Les babas cool” dans lequel s’ébattait la troupe du Splendid.
La Gueule Ouverte n’a jamais eu pour moi l’attrait de Charlie Hebdo ; le journal de Fournier était plus triste que celui de Cavanna, plus militant aussi. Cavanna à sa façon était pourtant aussi un écolo, moins naturiste, plus proche d’un rationalisme humaniste à l’ancienne. Cet humanisme républicain était tempéré par son parti-pris militant contre la souffrance animale, mais il avait un profond respect pour le progrès technique et scientifique, à la différence de Fournier.
Ghislain Nicaise
(1) Ndlr : Ce graffiti californien anonyme a servi de titre à Simone Signoret pour son livre de mémoires “La nostalgie n’est plus ce qu’elle était”.
(2) A la suite du blocus de Cuba par les USA, des scientifiques de plusieurs pays, surtout français, avaient organisé des universités d’été au nom de l’universalité de la connaissance. C’est une coïncidence que des dessinateurs comme Wolinski et Siné aient été invités par Castro au même moment.