Voir ci dessus la teneur de la lettre envoyée à Jacques Julliard
Cher Alain Hervé,
Comment vous répondre ? En essayant de m’analyser. D’abord, au risque de vous surprendre, je n’ai pas attendu l’écologie pour penser que le rapport à la nature est faussé depuis longtemps, à cause du caractère systématique de la pensée occidentale, sous l’influence de ses trois principaux vecteurs : christianisme, libéralisme, marxisme. Tous trois ont fait de l’homme le maître et le possesseur de la nature et ils ont eu raison. Je vous renvoie à la polémique de Voltaire avec Rousseau, et je suis du côté de Voltaire. « Quand on lit votre dernier livre contre le genre humain – je résume – il vous prend l’envie de marcher à quatre pattes », écrit Voltaire à Rousseau…
A la différence de vous, donc, je ne pense que l’homme soit purement et simplement une composante – fût-ce la plus élevée – du système de la nature. Du reste, après tout e que vous m’écrivez, comment osez-vous vous réclamer de l’humanisme ? L’humanisme, mon cher Hervé, c’est l’anti-nature !
Seulement – et voilà pourquoi je parlais de rapport faussé – la pensée christo-marxiste a oublié que si l’homme était un au-delà de la nature, il y a aussi un ça qui en fait partie. Je ne partage pas, par exemple, le mépris cartésien es animaux, qui fut souvent – pas toujours, voyez saint François – celui de notre civilisation chrétienne. Je pense que l’homme est plus que l’homme, sinon, il ne serait pas l’homme. Mais l’homme est tout entier culture et tout entier nature. Je pense cela depuis toujours. Mais je me méfie terriblement de toute philosophie naturelle.. Non, je ne traite pas les écolos de nazis. Vous m’avez mal lu. Mais je sais qu’à s’enfermer dans une philosophie naturelle, nous n’aurons un jour plus aucun argument contre le nazisme.
Nous sommes les fils du progrès et le progrès n’est pas une chose naturelle. Le XVIIIe siècle, qui était le siècle de la nature, n’a pu contrairement à ce que l’on croit, inventer le progrès. Il a fallu Condorcet, à sa toute fin, pour commencer à y penser.
Oui, je crois à la suprématie de la culture sur la nature. Je crois que la culture est capable – c’est le défi écologiste d’aujourd’hui – de revenir au respect de la nature. Mais je ne crois pas la nature capable, à elle seule, d’inventer la culture.
Voilà. Le naturisme est la pire des religions de salut. Telle est ma conviction. C’est une religion naturelle, c’est-à-dire une démarche qui cumule les impasses de la religions avec l’immobilisme stupide de la nature brute. Pour moi, le monde n’est pas illusion, il est allusion comme a dit un grand poète.”
Jacques Julliard