Tout le monde ou presque connait les trolleybus, ces autobus électriques sur roues qui prennent leur 600 volts sur des lignes aériennes tendues dans les rues ou le long des routes. De nombreuses villes dans le monde ont toujours leur trolleybus depuis plus d’un siècle, comme Lyon par exemple. En Europe, la plupart des villes ont ouvert des lignes juste après la Seconde Guerre mondiale, et beaucoup les ont abandonnées dans les années 70, souvent pour des raisons esthétiques.
Du point de vue du rendement, c’est une solution extrêmement performante. Pas de lourde batterie à transporter. C’est juste une caisse sur roues et un moteur. Pas de rails à installer dans des travaux longs et coûteux. Pas de lourdes motrices et wagons à mouvoir comme pour les tramways. Démarrage plus rapide qu’un tramway. Durée de vie deux fois supérieure à celle d’un bus à moteur thermique. Freinage électrique, qui limite la pollution en nano-particules de plaquettes de freins. Possibilité d’être autonome sur quelques kilomètres pour éviter des travaux ou rejoindre d’autres lignes.
De plus, les trolleybus de dernière génération restituent de l’électricité au freinage et à la descente, ce qui les rend particulièrement économiques en énergie. La durée de vie moyenne d’un trolleybus est de 25 ans et pourrait facilement être doublée ou triplée, avec un entretien très réduit comparativement aux bus à pétrole ou aux bus électriques à batteries. Car les batteries nécessitent un entretien très pointu, aussi bien pour des raisons de sécurité que de durabilité. N’oublions pas aussi le poids géopolitique, social et environnemental de toute la filière de production du lithium, du nickel et surtout du cobalt, sans parler de la filière de recyclage qui n’existe pas encore. De toute façon, il n’y aura pas assez de ces métaux pour convertir la flotte thermique mondiale actuelle, 2 milliards de véhicules, en flotte électrique à batterie.
Une technique qui réussit depuis 140 ans
La technique du trolley est tellement simple que les premiers trolleybus électriques datent des années 1880 en Allemagne. Au départ, le trolleybus est conçu aussi bien pour les villes que pour les campagnes. Le pneu n’existe pas encore, ce sont des carrioles à roues de bois cerclées de fer qui transportent les utilisateurs.
A l’époque, le courant parvient au véhicule par un câble souple, avec un dérouleur tracté sur la ligne aérienne, ce qui permet par exemple de faire quelques manœuvres ou demi-tour sans quitter l’alimentation électrique. L’infrastructure est tellement simple à réaliser et à maintenir que le système est quasiment inchangé 140 ans plus tard. Voici les lignes aériennes de la ligne Vintimille/San Remo sur la Riviera Italienne.
Les lignes tiennent sur de simple poteaux, et relient ces deux villes distantes de 20 km. Car la distance n’est pas un problème. Il suffit d’alimenter la ligne à différents endroits sur son parcours, avec une tension peu élevée, qui serait parfaitement compatible avec de petites unités photovoltaïques à quelques endroits stratégiques du parcours, pour supplémenter un réseau électrique et réduire encore les coûts d’exploitation. De plus, contrairement au tramway, le trolleybus peut grimper des routes de montagne très pentues, tout en restituant son électricité à la descente, avec un très bon rendement.
De leur côté, les bus à batterie peuvent également recharger leurs batteries à la descente, mais avec un mauvais rendement, car on ne peut pas charger les batteries avec de très forts courants. Le trolleybus est La solution de transport collectif pour les zones de montagne post-pétrole, d’autant plus qu’il est souvent possible d’y associer de la production électrique solaire, hydraulique ou éolienne au long du parcours, comme on le faisait par exemple dans les Alpes Maritimes, avec de l’hydraulique, pour les tramways de montagne vers 1900.
Le système est tellement résilient, adaptable, à bas coût et à basse technologie, qu’on peut le considérer comme une des grandes technologies urbaines et rurales de demain, qui sera déclinée dans de nombreuses secteurs des transports qui vont être progressivement décarbonés. On peut citer notamment le halage des péniches qui s’est fait jusqu’aux années 60, en France et en Allemagne, avec des tracteurs électriques à trolley circulant en bord de canal ou de fleuve.
En revanche, il y a un écueil, qui est la disponibilité du cuivre, dont nous atteignons le pic de production d’ici 10 à 15 ans, après 4000 ans d’exploitation. Il y a aussi le problème de la surveillance du cuivre, qui est de plus en plus dérobé par des gangs spécialisés. De façon générale, on rappelle également, pour ceux qui oublieraient que la décroissance est inévitable dans un monde fini, que la disponibilité du cuivre n’impacte pas seulement le transport d’électricité par caténaires, mais la totalité des activités et matériels utilisant de l’électricité, ou produisant de l’électricité, c’est-à-dire l’ensemble du monde moderne !
Perspectives de la production électrique
Selon le dernier rapport de l’AIE, Agence Internationale de l’Énergie, nous avons passé le pic pétrolier des pétroles conventionnels entre 2006 et 2008, et nous sommes en ce moment sur le plateau oscillant qui précède le pic de production de tous les pétroles. Ce pic est envisagé d’ici à 2035, c’est-à-dire demain. De plus, le bouleversement du climat impose que nous laissions les carburants fossiles là où ils sont, au plus vite. En France, l’électricité se décarbone progressivement, mais il y a encore beaucoup à faire, comme le montre ce graphique de RTE, le Réseau de Transport d’Électricité.
C’est donc maintenant que nous devons réfléchir à implanter les infrastructures qui vont nous permettre de nous passer des engins à pétrole et à batterie, notamment dans les zones rurales, en plaine, comme en montagne. Installer des lignes aériennes ne suffit pas. Il faut installer dans la même période les infrastructures de production d’électricité associées, mais aussi des “tampons énergétiques” de lissage électrique du réseau, des stockages temporaires à base chimique (redox-flow, supercondensateurs), ou thermique (sels fondus), ou mécanique (volants d’inertie) comme on en installe déjà en Europe sur divers projets de réseaux électriques à base d’énergies renouvelables intermittentes.
Le trolley pour le transport du fret
Le gros problème de la transition vers l’après-pétrole est celui du fret routier, qui complète le fret ferroviaire. Les Allemands, Suédois et Italiens expérimentent depuis plusieurs années l’implantation de caténaires à camion sur les autoroutes, comme on peut le voir sur l’image ci-dessous. Les constructeurs de camion sont prêts, mais on ne voit encore aucune politique nationale ou européenne émerger sur ce sujet, ni même d’intérêt par les gestionnaires d’autoroute, qui n’y voient qu’une réduction de leur juteux bénéfices pendant les années d’investissement et de travaux. Il faut de toute façon faire chuter le transport routier en relocalisant les productions au plus proche des consommateurs.
Ces camions peuvent rouler quelques kilomètres sans caténaires, notamment pour rejoindre les centres de distribution d’où partent les véhicules “pour le dernier kilomètre”. Il est probable qu’il faille attendre des pénuries ou des coûts pétroliers élevés pour voir ces solutions implantées en urgence, alors qu’il suffirait de réorienter les investissements bancaires du pétrole vers la mobilité douce, dès maintenant, pour équiper toute l’Europe. Les abords des autoroutes pourraient également accueillir de nombreuses zones d’implantation de photovoltaïque ou d’éolien léger, afin d’alléger les réseaux électriques nationaux, et fournir une part non négligeable de la consommation électrique de leurs voies.
Pour finir ce dossier, signalons qu’une poignée d’entreprises européennes sont désormais spécialisées en “rétrofit” (transformation) de bus à pétrole vers des bus électriques, ce qui permet de ne pas reconstruire un châssis et des équipements déjà parfaitement fonctionnels. Il suffit d’enlever moteur thermique et réservoirs, et les remplacer par les modules électriques, comme on commence à le faire pour les voitures particulières, ce qui diminue fortement les coûts. Le même processus pourrait être appliqué aux millions de camions sans peser sur le poids environnemental et financier de leur remplacement par du neuf. Mais aucun état ne pousse cette filière.
En résumé, on peut se réjouir de voir que des techniques simples, efficaces et écologiques sont valides plus d’un siècle après leur invention. Il ne manque que la volonté politique des électeurs pour imposer ces solutions résilientes et sobres à leurs élus, et donc à la société. Comme toute mutation dans cette transition écologique incontournable, il vaut mieux la faire en période de relative stabilité et de relative disponibilité des ressources, plutôt qu’au moment des divers effondrements qui sont déjà modélisés, pour les toutes prochaines décennies.