Avec un grand merci à Jean-Luc Fessard de nous avoir remis en mémoire ce tract des Amis de la Terre, dessiné par Brice Lalonde, initiant la première manifestation écologiste de masse dans notre pays.
Le souvenir d’Edwin Matthews, (co-fondateur avec Alain Hervé des Amis de la Terre en 1970) :
Ref: Il y a cinquante ans: on manifeste à vélo
Le 22 avril 2022
Chers Amis,
Il y a cinquante ans au matin, nous sommes montés à vélo, si ce n’était pas pour sauver notre civilisation, c’était au moins pour faire une proposition audacieuse : débarrasser les belles avenues de notre cher Paris des bagnoles à combustion interne, bêtes nocives et destructrices qu’elles sont. Comment peut-on agir en tant que citoyens … pour réveiller les responsables somnambules ?
L’idée de la manif était géniale. Nous étions quatre pelotons pacifiques d’environs dix mille vélos chacun venant des quatre coins de Paris et convergeant Place de la Concorde. Nous sommes partis de la Muette, mes trois filles, Nadia, Sylvie, Clarissa et moi, accompagnés par notre Golden, nommé “Friend”, animal de compagnie des Amis de la Terre. On s’attendait à célébrer une belle journée à Paris en portant un message bénéfique qui répondait à nos espoirs pour un avenir meilleur.
Au bout de deux heures en compagnie de milliers d’autres adhérents sympathiques, nous avons gagné la Place de la Concorde et nous y avons rejoint les autres pelotons venant de tous les azimuts de Paris. Nous faisons une ronde cérémoniale de la Place de la Révolution. Cependant, je ne pouvais m’empêcher de penser à ce qui s’était passé auparavant dans ce lieu célèbre. Ayant achevé notre objectif et ainsi libéré provisoirement la Place de la Concorde de toute voiture, nous nous retournons vers le Bois de Boulogne pour faire le pique-nique au Bois prévu avec d’autres manifestants.
On ne pouvait pas se dire qu’on avait changé le monde, mais nous avions fait un modeste pas vers un avenir plus sain pour notre ville.
Lorsque nous remontons les Champs Elysées et arrivons Place de l’Alma, des motos de la police commencent à agresser les cyclistes. Attaquant les cyclistes flânant par derrière qui ne se doutaient de rien. Des motos portaient deux policiers, l’un à l’arrière portant un long bâton pour abattre les cyclistes. Un bâton au travers de la roue renversait brutalement le vélo et envoyait rapidement son conducteur dans le décor. On ne pouvait comprendre pourquoi la police nous attaquait. Nous avions peur.
À l’Alma j’étais arrêté par des policiers qui sortaient de leur car bleu stationné sur la Place. Je pouvais voir les visages casqués des policiers perplexes derrière les grillages des fenêtres blindées du car. Un agent est sorti de l’autobus et m’a hurlé des commandes incompréhensibles. Je lui ai répondu pareillement ! Il sort son carnet pour écrire une contravention avant me m’amener ailleurs. Mes filles se voyaient abandonnées dans Paris avec leur chien. Elles s’en souviennent encore.
Au bout d’un quart d’heure, le haut-parleur de la police annonce qu’une Bentley était entourée de vélos au Trocadéro et ne pouvait avancer. Le klaxon du car a commencé son bla bla. Au moment où le car partait, l’agent me lance sa contravention que je ramasse sur les pavés. Je vois qu’il avait précisé notre violation : “roulant à vélo avec des enfants et un chien tenu en laisse.”
Nous repartons pour le Bois sans savoir si la Bentley était toujours emprisonnée. La conduite déplorable de la police à part, nous avions passé un beau samedi de printemps. Mais la lutte pour sauver Paris de l’assaut des voitures continue.
Amitiés at tous, Edwin Matthews
NDLR : Les brigades de Voltigeurs motoportés ont été dissoutes en 1986 après la mort de Malik Oussekine, et rétablies dans les faits trente ans plus tard.