Appel à reprendre les terres et bloquer les industries qui les dévorent
Nous sommes des habitant·es en lutte attachés à leur territoire. Nous avons vu débouler les aménageurs avec leurs mallettes bourrées de projets nuisibles. Nous nous sommes organisé·es pour défendre nos quartiers et nos villages, nos champs et nos forêts, nos bocages, nos rivières et nos espèces compagnes menacées. Des recours juridiques à l’action directe, nous avons arraché des victoires locales. Face aux bétonneurs, nos résistances partout se multiplient.
Nous sommes des jeunes révolté·es qui ont grandi avec la catastrophe écologique en fond d’écran et la précarité comme seul horizon. Nous sommes traversé·es par un désir croissant de déserter la vie qu’ils nous ont planifié, d’aller construire des foyers d’autonomie à la campagne comme en ville. Sous état d’urgence permanent, nous avons lutté sans relâche contre la loi travail, les violences policières, le racisme, le sexisme et l’apocalypse climatique.
Nous sommes des paysan·nes. La France n’en compte presque plus. Avec ou sans label, nous sommes les derniers qui s’efforcent d’établir une relation de soin quotidien à la terre et au vivant pour nourrir nos semblables. Nous luttons tous les jours pour produire une nourriture saine à la fois financièrement accessible et garantissant une juste rémunération de notre travail.
Parce que tout porte à croire que c’est maintenant ou jamais, nous avons décidé d’agir ensemble.
Depuis longtemps, l’économie nous a séparé de la terre pour en faire un marché. Erreur fatale qui nous mène droit au désastre. La terre n’est pas du capital. C’est le vivant, le paysage et les saisons. C’est le monde que nous habitons en passe d’être englouti par la voracité extractiviste. Après avoir enclos et privatisé les communs, le marché capitaliste et ses institutions précipitent aujourd’hui le ravage de la biodiversité, le bouleversement climatique et l’atomisation sociale.
L’ère covid a achevé de rendre l’atmosphère irrespirable. Entassé·es dans des métropoles chaque jour plus invivables, confiné·es dans une existence hors-sol et artificielle, un sentiment d’étouffement nous étreint. Le coronavirus résulte de la dévastation écologique, de l’exploitation globale de la terre et du vivant. Il dévoile notre totale dépendance à l’économie mondialisée, révèle la fragilité de cette fausse abondance étalée dans les rayons des supermarchés. La gestion gouvernementale consiste à tirer parti de cette crise pour reconfigurer l’économie (télé-travail, dématérialisation…) tout en abolissant nos libertés fondamentales (lois sécurité globale, régime d’exception…).
Nous ne croyons pas dans une écologie à deux vitesses dans laquelle une minorité se targue de manger bio et de rouler en 4×4 hybride tandis que la majorité est contrainte de faire des jobs subits, de longs trajets quotidiens et de manger low-cost. Nous n’acceptons pas que les exploitants agricoles soient réduits au rang de sous-traitants sur-équipés et sur-endettés de l’industrie agro-alimentaire. Nous ne nous résoudrons pas à contempler la fin du monde, impuissant·es, isolé·es et enfermé·es chez nous. Nous avons besoin d’air, d’eau, de terre et d’espaces libérés pour explorer de nouvelles relations entre humains comme avec le reste du vivant.
Venu·es de toute la France, nous étions plus d’une centaine à nous retrouver à Notre-Dame-des-Landes le mois dernier. De sensibilités, de parcours et d’horizons très différents, un constat commun nous rassemble :
1 – La question foncière est à la croisée de la fin du monde et de la fin du mois, de la planète des écologistes et de la terre des paysans. Dans les dix ans à venir, la moitié des exploitants agricoles de France va partir à la retraite. Concrètement, près d’un tiers de la surface du territoire national va changer de main. C’est le moment ou jamais de se battre pour un accès populaire à la terre, pour restaurer partout les usages et les égards à même d’en prendre soin.
2 – Quoi qu’on puisse en penser ou en attendre, l’État laisse le champ libre au ravage marchand de la terre. Il organise le contournement des régulations foncières et environnementales qu’il a lui même instituées. En guise de verdissement publicitaire, Macron planifie un referendum pour “inscrire la défense de l’environnement dans la constitution”. Le même refuse d’interdire glyphosate et néonicotinoïdes. Le même s’apprête à bétonner à tour bras en vue des JO de 2024 . Il est grand temps d’établir un rapport de force pour faire redescendre l’écologie sur terre.
3 – Nos luttes comme nos alternatives sont absolument nécessaires, mais séparées les unes des autres, elles sont impuissantes. Syndicalisme paysan, mouvements citoyens, activismes écologiques, agitations autonomes, luttes locales contre des projets nuisibles, ne parviennent, seuls, à renverser la situation. Il est nécessaire d’unir nos forces pour impulser et inventer des résistances nouvelles, à la mesure du ravage auquel nous assistons stupéfaits.
L’incertitude produite par la crise sanitaire ne doit pas nous empêcher de nous projeter et de nous organiser sur le long terme. Nous voulons faire advenir des soulèvements pour la défense de la terre comme bien commun. Nous voulons arracher des terres à l’exploitation capitaliste pour constituer des espaces libérés, propices à une multiplicité d’usages communs, de relations et d’attachements. Nous voulons défendre le monde vivant grâce à une agroécologie paysanne et solidaire, à la protection des milieux de vie et à une foresterie respectueuse. Cela commence par trois gestes :
1- Pour faire cesser le ravage, nous appelons à enclencher le frein d’urgence, à concentrer nos forces pour cibler, bloquer et démanteler trois des industries toxiques qui dévorent la terre : celles du béton, des pesticides et des engrais de synthèse. Nous nous retrouverons en juin et à l’automne pour des grosses actions de blocage d’industrie.
2 – Remettre la terre entre nos mains et l’arracher des griffes des accapareurs exige que nous soyons chaque jour plus nombreux à remettre les mains dans la terre. Des centres urbains jusqu’aux confins des périphéries, nous appelons à des reprises de terres, par l’installation paysanne, le rachat en commun et l’occupation. Nous nous retrouverons dès ce printemps pour des actions d’occupations de terres contre l’artificialisation.
3 – Pour restituer aux habitant·es et aux paysan·nes de chaque localité le pouvoir de décider de l’attribution, l’usage et la destination des terres, nous appelons à s’introduire en masse, chaises en main, dans les diverses institutions et lieux de pouvoir où se décide sans nous le devenir de la Terre. Nous ne pouvons laisser plus longtemps ce pouvoir entre les mains de la FNSEA et de l’agro-industrie, des aménageurs et des bétonneurs. Nous nous retrouverons à partir de la rentrée prochaine pour occuper ces lieux de décision.
La première saison des soulèvements de la terre sera marquée par une première vague d’occupations de terres et de blocages contre le bétonnage : 27 mars aux Vaites à Besançon (jardin populaires vs extension urbaine), les 10 et 11 avril à Rennes au Prévalaye (cultures collectives vs zones de loisirs), les 22 et 23 mai au Pertuis en Haute-Loire (paysans expropriés vs construction d’une déviation routière), les 19-20-21 juin à St-Colomban en Loire Atlantique (défense du bocage menacé par les carrières de sable et le maraîchage industriel).
La seconde saison des soulèvements de la Terre s’ouvrira en septembre par une marche populaire jusqu’aux portes du ministère de l’agriculture et de l’alimentation à Paris. Elle sera prolongée tout au long de l’automne et de l’hiver par des actions de réappropriation dans les institutions et des blocages des industries qui empoisonnent les terres. (cf. Programme détaillé)
Faire date. Agir ensemble au fil des saisons. Jeter toutes nos forces dans la bataille. Remuer ciel et terre. Entre la fin du monde et la fin de leur monde, il n’y a pas d’alternative. Rejoignez les soulèvements de la Terre.
Depuis la Zad de Notre-Dame-des-Landes, le Dimanche 24 janvier 2021
Premiers signataires (pour signer : lessoulevementsdelaterre@riseup.net)
Organisations, collectifs, fermes, comités etc.
La Confédération Paysanne, Youth for Climate Ile de France, le jardin des Vaîtes, le collectif la tête dans le sable, des habitant·es de la zad de Notre-Dame-des-Landes, l’Atelier Paysan, la cagette des terres, MIRAMAP (mouvement inter-régional des AMAP), la ferme collective de l’âne arrosé (Deux-Sèvres), la ferme des pailles (44), le comité Pli (revue, éditions, désertion), le collectif Le Sabot (revue littériaire de sabotage), le collectif saga (Nantes), l’organisation ZEA, Librairie-café Les Villes Invisibles
Soutiens
Alessandro Pignocchi (auteur de bd), Christophe Laurens (architecte) , Gilles Clément (paysagiste), Laurent Cauwet (auteur, éditeur), Frédéric Barbe (géographe, Nantes), Johan Grzelczyk (écrivain), Mireille Perrier (actrice, metteur en scène), Nicolas Zurstrassen (auteur), Laurence Petit-Jouvet (cinéaste), Dominique Gauzin-Müller (architecte-chercheur), Françoise Guiol (comédienne et art thérapeute), Benjamin Fouché (auteur), Guillaume Faburel (enseignant chercheur), Fanny Ehl (géographe), Franck Doyen (poète), Olivier Dubuquoy (cinéaste), Fabian Lévêque (géographe)