Communiqué de presse émis le 8 avril 2020 par l‘Association Terre de Liens
Faire germer les “jours d’après “
La crise du coronavirus révèle notre vulnérabilité face à des chaînes de production mondialisées et à un commerce international en flux tendu qui ne nous permettent pas de fabriquer et de disposer, en cas de choc, des biens de première nécessité : masques, respirateurs et médicaments, qui manquent cruellement depuis plusieurs semaines à notre système de santé. C’est vrai également de certaines productions alimentaires, qui se raréfient après seulement quelques semaines de confinement. Des crises comme celle-ci se reproduiront, notamment dues au bouleversement climatique en cours à l’échelle planétaire.
Afin de s’y préparer, nous, citoyen·nes, agricultrices et agriculteurs engagé·es, pensons qu’il faut aller vers une relocalisation massive des activités de production alimentaire qui permettra d’enclencher une réelle transition écologique et sociale.
La production agricole en France n’est actuellement pas à la hauteur de cet enjeu. Elle est largement dépendante d’une main d’œuvre étrangère, souvent sous payée et ne bénéficiant pas de droits élémentaires des travailleurs (sécurité sociale, chômage, etc.), et cette main d’œuvre manque terriblement depuis la fermeture des frontières.
L’agriculture française continue à produire majoritairement de manière industrielle, souvent pour les marchés mondialisés. Et une grande partie de cette production ne sert pas directement à l’alimentation humaine : dans la filière céréalière française, par exemple, plus de la moitié des récoltes est exportée. Dans ce qui ne l’est pas, un peu plus du quart (28%) seulement correspond à l’alimentation humaine, près de la moitié (48%) est destiné а l’alimentation animale (animaux que nous consommons, mais avec un rendement calorique divisé par 10 environ), et le quart restant dans les biocarburants et les usages industriels.
Partir des besoins du territoire et consolider les filières paysannes, biologiques et solidaires est un enjeu de taille, dans lequel doivent être mis prioritairement l’argent public et l’énergie collective, citoyenne et politique. Au niveau communal ou départemental, il est urgent de mettre en place des dispositifs ad hoc, comme par exemple un Projet Alimentaire Territorial, ou tout autre dispositif а venir, plus efficient encore, ayant le même objectif) co-construits avec les agriculteurs, agricultrices et les autres acteurs de l’alimentation afin de créer une “économie” circulaire, avec des emplois non délocalisables. La vente en circuit court est primordiale pour le dynamisme du territoire et de son agriculture. C’est aussi un enjeu de santé publique, via l’accessibilité alimentaire de produits sains pour toutes et tous. C’est pourquoi nous demandons le retour en urgence des marchés locaux en France, aménagés de manière appropriée.
Afin de répondre à ces besoins de productions locales, il faudra multiplier par cinq les installations agricoles dans les années а venir. Il est donc indispensable de préserver et partager le foncier agricole, dès maintenant. En France, l’équivalent d’un stade de foot (0,8 ha) toutes les 6 minutes ou d’un département moyen (600 000 ha) tous les 8 ans sont perdus, du fait de l’artificialisation des sols. La disparition des terres fertiles réduit irrémédiablement notre capacité de production agricole, ce qui fragilise notre autonomie alimentaire, et produit des conséquences écologiques graves (renforcement des inondations, réchauffement des sols, rétrécissement des niches écologiques de la faune et de la flore sauvage).
Terre de Liens œuvre depuis 15 ans, а son échelle, pour favoriser l’installation de paysan·nes et préserver les terres agricoles. Grâce а l’épargne citoyenne que Terre de Liens a collectée, 207 fermes ont été sorties de la spéculation par notre foncière collective, et des milliers d’autres candidat·es à l’installation ont été accompagné·es par nos 20 associations territoriales. Ensemble, nous expérimentons la voie d’un modèle agricole local, biologique et solidaire.
L’enjeu de « l’après Covid » n’est pas la relance d’une économie polluante et climaticide. L’occasion nous est aujourd’hui donnée de s’interroger et de réorienter très profondément les systèmes de production agricoles, industriels et de services, pour les rendre plus justes socialement et en mesure de satisfaire les besoins essentiels des populations. Saisissons la. Relocalisons notre alimentation.
Aux côtés des paysan·nes, aux côtés de nos allié·es, notamment des associations réunies au sein d’InPACT, le mouvement Terre de Liens met à disposition des paysan·nes, des citoyen·nes et des élu·es toutes les compétences et les savoir-faire dont il dispose.