discours du député François Ruffin à l’Assemblée Nationale
« Le permafrost du Pôle Nord fond 70 ans plus tôt que prévu, et c’est une catastrophe. » Voilà la nouvelle écologique, la nouvelle dramatique du jour. Hier, dans la ville la plus au Nord du monde, à Alert, au Canada justement, un record de chaleur a été enregistré, +21°, à Alert, donc, une ville qui porte bien son nom, car ça devrait nous alerter. On va crever de chaud.
On va crever tout court.
On fabrique l’enfer sur Terre, avec les températures de l’enfer.
Je suis sûr que, le soir, nus, entre vos draps, dans le silence de vos consciences, vous êtes comme inquiets, angoissés pour vos enfants. Je le suis pour les miens. L’envie de chialer, quand je songe au monde dévasté qui se dessine, qu’on leur laissera.
Cette inquiétude, cette angoisse, dans vos rangs, dans tous les rangs, dans notre commune humanité, nous la partageons. Mais le matin revient, le costume, le maquillage, la fonction.
Et alors, vous nous proposez quoi ?
Le Ceta.
Le Canada Europe Trade Agreement.
Un traité de libre échange, un de plus.
Qui comporte 96 fois le mot concurrence, mais zéro fois le mot réchauffement, zéro fois biodiversité.
Dont le « grand absent est le climat ».
Et c’est pas moi qui le dis, c’est le rapport Schubert, commandé par le Premier ministre lui-même. Des experts qui tranchent franchement : oui, l’Europe pourra bien importer de la viande bovine nourrie aux farines animales, dopée aux antibiotiques, avec 46 molécules en prime, l’Acéphate, l’Amitraz, l’Atrazine, 46 molécules, qui détruisent les rivières ou refilent le cancer, 46 molécules interdites en France, interdites à nos agriculteurs, et que nous allons pourtant importer dans nos assiettes.
Contre tout ça, le rapport l’affrme clairement: « Rien n’est prévu ». Les mêmes experts redoutent, je les cite, « une harmonisation par le bas ». Et ils concluent : « Le Ceta ne donne pas la priorité à la protection de l’environnement ou à la santé ».
Mais quelle est alors votre priorité ?
Le commerce.
Le commerce.
La planète brûle, mais pour vous c’est business as usual.
« Le libre-échange est à l’origine de toutes les problématiques écologiques. Ce n’est pas en installant trois éoliennes qu’on va y arriver. » C’est pas moi qui le dis, à nouveau. C’est Nicolas Hulot. Et il poursuit : « Mais, avant que nos élites l’intègrent, je pense qu’on sera tous calcinés. »
Voilà les élites que vous êtes. Des élites inconscientes.
Des élites qui calcinent la planète. Des élites qui portent la mort.
Mais pourquoi, bon sang ? Pourquoi vous, votre majorité, le président de la République, la Commission européenne, pourquoi vous allez ratifier cet accord ? Parce que vous n’êtes pas au service des Français, ni de l’Europe. Vous êtes au service des lobbies. Inconsciemment, sans doute, mais vous êtes au service des lobbies.
Oui, car ce traité n’est pas né des peuples qui se seraient dits, tiens, on va se tendre la main par-dessus l’océan, et pour ça, on va négocier
2 344 pages de réglementation et signer un Trade Agreement. Heureusement, l’amitié entre les Français et les Canadiens, les échanges de chansons, de littérature, d’idées, d’amour, de soldats aussi, n’ont pas attendu cette cochonnerie de Ceta pour ça.
Non, ce traité est né d’un lobbyiste.
Je peux le nommer.
Jason Langrish, avocat d’affaires, qui préside à Toronto « la table ronde de l’Energie », c’est-à-dire le lobby du pétrole.
Et derrière lui, il a rassemblé 17 lobbies.
Je peux les nommer, aussi.
Ce sont les Canadian Manufacturers, la fédération européenne des industries pharmaceutiques, l’association canadienne de l’industrie chimique, Business Europe. Et derrière ces lobbies, Arcelor, Monsanto, Alcan, Total, Lafarge, Rio-tinto, les pires firmes.
Les clients de M. Jason Langrish, les pétroliers, peuvent d’ores et déjà se frotter les mains. Depuis l’automne 2017, depuis deux ans à peine que le Ceta est « expérimenté », les exportations de pétrole canadien vers l’Europe ont bondi : + 63 % ! Du pétrole issu, pour beaucoup, des sables bitumineux qui ravagent l’Alberta, mais qu’importe. Et qu’importe, également, que ce pétrole émette moitié plus de gaz à effet de serre que le conventionnel.
Consciemment ou inconsciemment, voilà quels intérêts vous privilégiez.
Toute la société française aujourd’hui est contre cet accord.
Toute la gauche, ici.
La droite, pour l’essentiel.
Les syndicats de travailleurs, tous les syndicats de travailleurs.
Les syndicats d’agriculteurs, tous les syndicats d’agriculteurs.
Les assos environnementales, toutes les assos environnementales. Vous êtes seuls.
Vous êtes seuls avec le Medef.
Vous êtes seuls avec Jason Langrish et ses amis, ses amis des multinationales. Vous êtes seuls.
Je n’en appelle pas à vous.
Je n’espère rien de vous.
J’en appelle aux citoyens.
Aux citoyens français.
Aux citoyens canadiens.
Pour coopérer ensemble, bien sûr, par-dessus l’Atlantique.
Pour remettre comme priorité, naturelle, normale, évidente, l’environnement et la santé, avec loin derrière le commerce, loin derrière la balance commerciale, loin derrière le taux de croissance, loin derrière ces obsessions d’experts comptables. Pour que Alert, chez vous, au Canada, ne concurrence pas notre Côte d’Azur.
Amis canadiens, amis picards, nous ne pouvons pas laisser tous les Jason Langrish, de chez vous ou de chez nous, tous leurs amis des firmes, tous leurs larbins parlementaires, nous conduire, nous et la planète, droit dans le mur écologique.
Nous devons changer de direction. Nous devons appuyer sur le frein. Nous devons leur reprendre le volant des mains.
François Ruffin, député de la Somme