par Ghislain Nicaise
Les éléagnacées font partie des plantes favorites des permaculteurs en climat tempéré. Elles sont résistantes au froid, peu ou pas du tout sujettes aux maladies, peu exigeantes sur le sol, en partie parce qu’elles utilisent l’azote de l’air. Leurs racines sont associées en symbiose avec des microorganismes fixateurs d’azote atmosphérique, mais au lieu des Rhizobium connus chez les Fabacées, il s’agit de bactéries filamenteuses du groupe des Actinomycètes nommées Frankia (1). On peut donc planter ces buissons à proximité d’un fruitier par exemple, pour enrichir le sol en azote. On m’a parfois fait l’objection que la fixation d’azote n’était pas nécessairement altruiste. Je n’ai pas de certitude sur ce point mais si le buisson d’éléagnacée a vocation de garder pour lui l’azote atmosphérique qu’il a fixé jusqu’à la mort de ses racines, je peux toujours récupérer largement cet azote en me servant des tailles en vert pour faire du broyat, ou simplement mettre à décomposer les rameaux taillés au pied des arbres que je veux nourrir.
Le goumi (Elaeagnus multiflora, Fig. 1)
Le goumi, originaire d’Extrême orient, est un arbuste à usages multiples, peu exigeant sur la nature du sol ou le climat : il tolère -25°C l’hiver et résiste bien à la sécheresse l’été. Il est réputé résistant au pourridié (Armillaria mellea)(2). Au printemps les fleurs sont très abondantes comme l’indique le nom d’espèce multiflora, nectarifères et appréciées des abeilles, les fruits (en juin) sont comestibles. J’ai planté successivement deux cultivars sélectionnés pour leurs fruits, Sweet Scarlet en 2009 et Red Gem en 2010. J’ai un doute sur l’étiquetage à la pépinière car je n’ai pas pu déceler de différence entre les deux. Je ne m’étendrai pas sur les qualités de ces fruits, qui évoquent ceux du goji par leur abondance, leur petite taille, leurs vertus supposées et leur médiocrité gastronomique (à mon goût !). Ils sont simplement beaucoup plus précoces en saison. Ils sont tous les ans aussi abondants que sur la figure 1, sauf en 2017 comme je l’ai déjà raconté : les gelées tardives ayant privé les oiseaux de cerises, il mangeaient les baies de goumi dès qu’elles étaient à peine roses. Les fruits peu attrayants en frais apportent cependant leur touche d’acidité et leurs vitamines à des confitures mixtes coings-goumis ou coings-goumis-argouses. Pour cela je les stocke au congélateur ou bien j’en fais un jus que je stérilise par la chaleur dans l’attente de la maturité des coings. La cueillette demande de les saisir et de les faire basculer à angle droit avant de tirer, pour éviter que la queue ne vienne avec. Ils sont rouges avant d’être mûrs et à ce stade ils sont âpres, ils grossissent un peu par la suite et deviennent plus mous, signe de maturité.
Un goumi non identifié à l’achat (Elaeagnus umbellata., Fig. 2)
J’avais repéré sur le catalogue de La Feuillade, pour le coût raisonnable de 6 € une “touffette de goumi” sans mention de variété. Cette “touffette” très petite au départ a vite rattrapé et dépassé les deux cultivars déjà mentionnés. D’une vigueur remarquable, j’ai dû lui couper régulièrement des branches pour qu’elle respecte le développement du Sweet Scarlet (buisson de gauche plus sombre sur la figure 2) dont elle était censée favoriser la fructification. Elle se couvre de fleurs en même temps que les autres et je pensais qu’elle ne donnait pas de fruits jusqu’à cette année où je me suis rendu compte qu’ils étaient beaucoup plus tardifs (septembre au lieu de juin), beaucoup plus petits (plutôt 3 mm de diamètre au lieu de 10) et probablement appréciés des oiseaux car ils ne restent pas longtemps sur les branches. Pour rédiger cet article je me suis adressé à nouveau à La Feuillade et nous sommes tombés d’accord sur un nom d’espèce : umbellata (chalef argenté ou autumn olive). Si les oiseaux ne les mangeaient pas, il me faudrait attendre les premiers froids pour que les fruits perdent leur apreté. De tous mes essais de culture à La Penne, cet Elaeagnus umbellata reste la meilleure source abondante de biomasse raméale, ex aequo avec le robinier (Robinia pseudacacia).
Le chalef hybride d’Ebbing (Elaeagnus x ebbingei, Fig. 3)
Le mot de chalef viendrait de l’arabe pour désigner le saule: une allusion probable à l’aspect argenté du feuillage. La lettre x indique qu’il s’agit d’un hybride, selon internet issu du croisement entre E. macrophylla et E. pungens. Je n’ai jamais vu ces espèces et suis incapable de dire en quoi l’hybride est plus intéressant que les parents. Ce qui est certain c’est que c’est une plante rustique, qui demande peu de soins, ce qui fait qu’elle est utilisée pour réaliser des haies le long de routes ou d’espaces publics et de fait facile à trouver en pépinière. A part les fruits comestibles et la fixation d’azote, ce qui la rend pour moi incontournable, c’est la floraison d’automne. Elle est agréablement parfumée mais surtout elle est très fréquentée par les abeilles à un moment de l’année où il fait assez chaud pour sortir de la ruche mais il n’y a plus de fleurs, plus rien à récolter.
Un olivier de Bohème (Elaeagnus angustifolia) pour le futur.
Je fais tellement l’éloge de ces Elaeagnus lors des visites de mon jardin que je me suis senti un peu obligé de planter l’olivier de Bohème, aux fruits réputés comestibles. En plus le mot lui même qui désigne le genre Elaeagnus est dérivé d’un mot grec (elaea) qui désigne l’olivier, soit à cause de l’aspect argenté du feuillage soit selon certains auteurs à cause de la forme oblongue des fruits. Mon olivier de Bohème n’a pas démarré, planté il y a un an, il n’a pas encore fleuri mais si je ne me suis pas trompé d’emplacement, c’est pour l’an prochain.
L’argousier (Hippophae rhamnoides, Fig. 4)
L’argousier ou saule épineux ou ananas de Sibérie est une éléagnacée comme le goumi et bénéficie des mêmes symbiontes fixateurs d’azote atmosphérique. L’argousier est normalement dioïque c’est à dire qu’il faut un pied mâle pour féconder le pied femelle, c’est pourquoi j’ai acheté à La Feuillade début 2010 une femelle de variété “Rockorange” et un mâle “Arborescent”. Vers la fin de l’année on me propose lors d’un achat groupé auprès de Kordes deux plants de “Leikora” qui seraient autofertiles selon certaines sources, mais annoncés seulement comme femelles chez plusieurs fournisseurs. Je les plante de part et d’autre de mon premier couple, je pense que même si la réputation d’autofertilité est fondée, la proximité d’un vrai mâle ne peut leur faire que du bien. Pendant deux ans ils ont poussé doucement, le Rockorange mieux que les autres au début. C’est une plante qui se trouve en Europe dans des dunes sablonneuses, pas vraiment l’environnement que je leur ai procuré. Par la suite ils se sont néanmoins assez développés pour que je coupe des branches en août au moment de la récolte : la cueillette assise est nettement plus confortable. Depuis deux ans ils ont même commencé à drageonner autour d’eux. Je pense qu’il s’agit de Leikora, je suis certain qu’il ne s’agit pas du mâle car les feuilles sont différentes mais je ne sais pas distinguer Leikora de Rockorange, même les fruits sont très semblables.
La cueillette est fastidieuse car les fruits sont petits et si bien accrochés qu’on ne peut les prélever qu’un par un, sans parler des épines. S’ils sont un peu trop mûrs, ils s’écrasent entre le pouce et l’index. Je me suis laissé dire que les professionnels utilisent le congélateur pour pouvoir séparer les fruits des branches. Ces fruits sont d’après la littérature très riches en vitamines A, B1, B2, B6, C et E, toutes sortes de bonnes choses pour la santé. Un sondage sur internet révèle qu’en utilisation interne, ils sont indiqués pour fatigue, grippe, refroidissement, manque d’appétit, ulcères d’estomac et du duodénum, hyperlipémie du sang, gingivite, problèmes pulmonaires, maladies cardio-vasculaires et coronariennes, hypertension artérielle mais ils sont aussi utilisés en externe pour eczéma et autres problèmes cutanés, brûlures, prévention et cicatrisation des blessures dues aux radiations, ralentissement des rides, pellicules et chute des cheveux (3). La Chine compte 300 000 hectares de vergers d’argousiers et 150 usines de transformation. Dans ce pays, plus de 200 produits différents sont fabriqués à partir de cette plante multi-usages (4). Pour moi, j’en fais une confiture très peu sucrée avec du coing, généralement très appréciée.
(1) La désignation Actinomycète témoigne du fait qu’on a cru au départ qu’il s’agissait de champignons mais il s’agit de Procaryotes, d’êtres vivants sans noyau visible comme les bactéries.
(2) http://nature.jardin.free.fr/1111/goumi_du_japon.html
(3) http://www.argousier-nature-sante.com/bienfaits.htm
(4) http://www.passeportsante.net/fr/Solutions/PlantesSupplements/Fiche.aspx?doc=argousier_ps
Cet article est paru en partie dans la regrettée Gazette des Jardins n° 108.