Aventures en permaculture n° 27- ANNUS HORRIBILIS

6 septembre 2017,

par Ghislain Nicaise

L’année 2017 n’est pas finie au moment où j’écris ces lignes mais à fin août le bilan est déjà si exceptionnellement désastreux que j’ai senti le besoin de me lamenter. L’intérêt si je puis dire de ce désastre est qu’il préfigure peut-être le bouleversement climatique à venir.
Sangliers et pommiers
Les dégâts sérieux ont commencé il y a un an avec le deuxième massacre de mes pommiers par les sangliers. Une première attaque avait pris place en 2013 : les animaux friands de pommes avaient cassé les branches de plusieurs arbres en s’appuyant dessus ou en les tirant. En particulier le Melrose (1), un de mes favoris pour ses gros fruits savoureux, peu sensible aux maladies, n’avait gardé qu’une branche, dans le prolongement du tronc. Trois ans plus tard, le houppier s’était reconstitué hors d’atteinte. De plus j’avais protégé cette partie du jardin avec une clôture électrique. Malheureusement, confiant dans cette protection, j’avais planté des pommes de terre, dont l’odeur est facilement détectable à distance. Il est probable que les tubercules ont permis au sanglier d’apprendre qu’il pouvait obtenir de la nourriture au prix d’une décharge électrique. Les pommiers “protégés” par la clôture ont été ravagés alors que ceux qui étaient en dehors ont été à peine visités sauf un de tige très courte qui était couvert de grosses pommes (Fig. 1). Pour les autres, ne pouvant atteindre les branches en se dressant sur leurs pattes arrière, ils ont trouvé qu’en saisissant le tronc dans leur gueule, ils pouvaient secouer l’arbre et faire tomber les pommes. C’est ce que j’ai déduit des traces laissées par leurs canines. Cette manoeuvre leur ayant permis de découvrir les qualités nutritives de l’aubier, ils ont dans un deuxième temps écorcé les arbres. L’écorçage a été complet pour le Melrose et le Pomme de fer, presque complet pour le Reine des reinettes. Le Granny Smith ne vaut guère mieux. Le tronc du Golden étant incliné (2), ils l’ont carrément cassé en montant dessus (Fig. 2 la clôture électrique est visible sous forme de bandes blanches à l’arrière plan). J’ai eu beau raconter cette histoire de nombreuses fois à qui voulait m’entendre, j’en suis toujours indigné (3).
Le printemps ravageur
Nous avons connu en 2017 un mois d’avril très doux qui s’est terminé par deux nuits de forte gelée. Les bourgeons floraux, à peine formés, ont gelé
– sur les muriers blanc (Morus alba) et noir (Morus nigra)
– sur le cognassier Vranja (Cydonia oblonga), il reste 3 fruits que j’ai ensachés pour les protéger de la moniliose, souvent provoquée par un coup de bec, ce qui n’avait pas d’importance les années précédentes où l’arbre portait des dizaines de très gros coings,
– sur le plaqueminier Nikita gift (Diospyros virginiana x asiatica, hybride russe résistant au froid), qui produisait régulièrement d’excellents kakis et n’en portera aucun cette année,
– sur les kiwis (Actinidia chinensis), dont nous avions récolté 15 cagettes l’an dernier et qui cet automne ne nous donnera que deux fruits, protégés du gel par leur proximité avec le mur de la maison, exposé sud-est : à noter que le kiwi du voisin, qui avait planté cette liane au nord de sa maison pour retarder la floraison, n’a pas souffert,
– sur la vigne (Vitis vinifera), le muscat de Hambourg ne nous donnera que 3 grappes alors que l’an dernier nous avions dû faire plusieurs bouteilles de jus de raisin pour valoriser la récolte. Les trois autres cultivars sont des raisins blancs sans pépins (qui me fournissent chaque année d’excellents raisin secs): le Perlette a produit deux grappes, l’Exalta aucune, le Danuta a failli mourir, j’ai coupé environ la moitié des rameaux qui ne montraient pas de signe de survie. Ce n’est pas grave pour moi, ça l’est beaucoup plus pour les vignerons du bordelais si j’ai bien écouté la radio (4),
– sur les cerisiers (Prunus avium) un peu moins le griottier (Prunus cerasus), les amandiers (Prunus dulcis, 4 cultivars), aucun fruit sauf quelques uns sur le griottier,
– sur plusieurs pommiers, absence totale de fruits (Chantecler et quelques plants, francs ou non, que je n’ai répertoriés que par un chiffre, car ils étaient là avant que je n’arrive pour en planter).
– sur les noisetiers (Corylus avellana, 5 cultivars) avec une récolte d’une vingtaine de noisettes contre 1500 à 2000 l’an dernier.
Quelques semaines plus tard une grêle violente a haché les feuilles tendres des kiwis, des courges (Cucurbita sp.), des asiminiers (Asimina triloba), et des poires de terre (Smallanthus sonchifolius).
Puis nous sommes restés plus de trois mois sans une goutte de pluie, avec des semaines en alerte canicule et un vent chaud et sec venu d’Afrique.
L’été meurtrier
J’avais planté la rangée de tomates avec une bonne exposition parce que normalement les tomates aiment le soleil mais j’aurais dû les mettre à mi-ombre. Fin août elles sont grillées malgré un arrosage régulier. Les Cœur de bœuf ont mûri avec la taille d’une noix. Le seul plant qui ait survécu était planté sous un pêcher lui servant de tuteur. Début juillet j’ai eu quelques Green zebra correctes et quelques tomates cerise mais cela n’a pas duré. Le plus étonnant a été de voir s’effeuiller des plants de cassis (Ribes nigrum) correctement arrosés, les plus petits d’abord. Par contraste l’hybride Caseille (Ribes nigrum x Ribes uva-crispa) a superbement résisté, y compris un plant qui n’a pas été arrosé du tout.
Je n’arrose jamais la prairie, et le chiendent, qui en est l’espèce principale, a souffert ; il est grisâtre, clairsemé, avec des inflorescences toutes petites. Les Fabacées qui se succèdent normalement en amenant des touches de couleur ont disparu après que la Psoralée bitumineuse (Bituminaria bituminosa) ait fini de fleurir précocement. Fin août manifestent un semblant de vie la grande fétuque (Festuca arundinacea, une coriace), le gaillet mou (Galium mollugo) qui fait quelques taches vertes, et des carottes sauvages (Daucus carota) les seules fleurs encore présentes, pratiquement sans feuilles. Quand j’ai essayé de creuser un trou dans cette prairie raréfiée, la pioche a rebondi comme sur du caillou. Sur la colline derrière la maison où pousse spontanément les cistes (Cistus salvifolius) qui n’ont plus que quelques feuilles rabougries, la farigoule (Thymus vulgaris) semble morte, complètement desséchée et effeuillée.
Le désespoir de la faune
La première surprise a probablement été causée par l’absence totale de cerises, qui fournissent normalement une alimentation abondante au moment de la nidification : les merles s’en sont pris aux fraises, ne les laissant même pas rosir, se glissant sous les filets de plastique vert achetés en urgence dans une jardinerie. Moi qui parlait fièrement de mes 7 kilos de gariguettes annuelles, j’ai pu en manger une petite poignée. Un autre fruit rouge qui avait échappé au gelées tardives et qui habituellement mûrissait en abondance, le goumi (Eleagnus multiflora Fig. 3, le cliché a été pris en juin 2016, en 2017 seuls des fruits verts ont été aperçus) a été cueilli au fur et à mesure de sa maturation par les oiseaux. Le jujubier (Zizyphus zizyphus, cultivar Lang à gros fruits) qui s’est décidé à fructifier cette année voit ses fruits rongés par les guêpes ou les frelons qui passent sous le filet anti-oiseaux. J’ai vu des oiseaux attaquer les noisettes vertes, les quelques rares qui s’étaient développées, avant que la coque ne durcisse. Les quelques toutes petites figues disparaissent avant maturité.
Tout l’écosystème est perturbé, les insectes dont certains s’en prennent pourtant aux fruits de manière spectaculaire sont rares et leur diversité réduite. Jamais nous n’avons eu aussi peu de guêpes en août. Lorsque les lavandes ont fleuri, au départ on ne voyait butiner que des bourdons terrestres, en abondance (Bombus terrestris, celui dont l’abdomen présente une bande jaune, une noire et une blanche). Les osmies (Osmia cornuta, abeille solitaire au thorax noir et à l’abdomen roux) et les gros xylocopes (Xylocopa violacea) étaient devenus rarissimes. Je n’ai vu des abeilles domestiques (Apis mellifera) que tardivement sur les onagres (Œnothera sp.) mais elles ont totalement fait défaut sur les courges, que j’ai dû féconder à la main (Fig. 4 à côté d’une courgette fécondée à la main, deux petits avortons qui n’ont pu se développer faute d’une intervention animale) et on ne les voit pas sur les asters (Aster sp.) que j’avais planté pour elles. Ce plant de courge s’était développé sur le compost de l’an dernier, il a été hier détruit par les sangliers affamés qui ont retourné ce compost à la recherche de larves de coléoptères et de vers de terre.
Fin août, irrité de voir les pêches détruites avant même leur maturation, j’ai mis en sachet quelques survivantes, comme je le fais normalement pour les raisins. (Fig. 5). Les sacs en papier opaque du genre “Mangez des fruits” ou “Bio et local c’est l’idéal” m’ont bien été utiles : c’est pour moi une tradition. Il y a quelques années j’avais été tenté par des sacs en intissé blanc achetés en jardinerie, spéciaux pour protéger les fruits, mais ça n’a pas marché, les oiseaux devinent le fruit à travers et perforent le sac avec leur bec.
Le deuxième week-end de juin, pour la troisième année consécutive, j’ai fait visiter mon jardin dans le cadre des visites organisées par le CPIE. J’ai été tenté d’annuler et encore je ne soupçonnais pas la tournure que prendraient les cultures quelques semaines plus tard. J’ai pu faire goûter aux visiteuses et visiteurs les amélanches (Amelanchier canadensis), les pétales de fleurs de feijoa (Feijoa sellowiana) sans savoir que les fruits ne suivraient pas (mauvaise fécondation ? chaleur excessive ? prédation ?) mais les délicieuses mûres “blanches” (elles sont rose pâle) m’ont fait défaut. J’ai fait mon exposé sur les caraganiers (Caragana arborescens, le pois de Sibérie !) en disant que “normalement” ils devraient être couverts de gousses. Cette année la seule culture dont je puisse dire qu’elle a bien marché dans mon jardin est celle de la pomme de terre et encore, en arrosant, ce qui n’est pas habituel. Si ces aléas climatiques devaient se reproduire les années prochaines, et il y a des raisons de penser que cela sera le cas, il faudra prévoir d’autres cultures et d’autres méthodes, en particulier mieux utiliser l’ombre des arbres. Si la quantité de pluie en dessous de laquelle on ne peut plus avoir de forêt est bien de 500 mm/an comme l’écrivent les Bourguignon (5) et si l’été 2017 devient la norme, à terme mon jardin ne pourra même plus porter des arbres à l’ombre desquels nous pourrions mettre des légumes. Si nous échappons à la désertification, il n’est même pas utile de répertorier les plantes qui ont résisté cette année car le redoux d’avril et la gelée consécutive ne seront pas à date fixe, c’est l’irrégularité qui cause les dégâts. Cependant mon activité de permaculteur amateur me parait particulièrement dérisoire quand je pense aux vrais agriculteurs confrontés à des changements aussi brutaux, et plus égoïstement à nous autres consommateurs qui risquent fort de ne plus trouver l’abondance et la variété alimentaire qui leur semblait si naturelle et allant de soi.

G.N.

(1) Sur le site pommiers.com : Melrose : variété apparue aux États-Unis vers 1937, croisement entre Jonathan et Red delicious, peau rose à rouge, chair fine de couleur crème, très juteuse, sucrée pas trop acidulé, croquante, bonne qualité gustative, pomme à couteau, bonne conservation, productif, floraison quelques jours avant golden, nécessite un pollinisateur, maturité décembre à mars…
(2) Je ne l’avais pas planté incliné mais il avait pris de la gite à la suite du creusement d’un blaireau, probablement à la recherche de vers.
(3) Mon ressentiment n’est pas dirigé à l’encontre des sangliers, qui font leur boulot de sanglier, mais des chasseurs irresponsables qui les nourrissent (et s’en vantent !) provoquant ainsi leur prolifération.
(4) Cet épisode météorologique m’a appris l’expression de “gelée noire”, expression qui évoque probablement les jeunes feuilles, sortant des bourgeons à peine éclos, ratatinées par le froid, noires, sèches et cassantes.
(5) Le sol, la terre et les champs. Pour retrouver une agriculture saine, par Claude et Lydia Bourguignon. Editions Sang de la Terre, Paris, 2009.