Pourquoi dit-on les toilettes au pluriel ? Ma mère, née en Belgique, disait “la toilette” et quand un jour je lui ai demandé si elle savait les raisons de cette divergence linguistique, elle m’a proposé l’explication qu’elle avait retenue de son pays d’origine : “les français ont besoins de toilettes au pluriel parce qu’ils sont plus sales”. J’arrête ici avec les blagues françaises mais j’espère que vous me pardonnerez mon introduction : cela rafraîchit un peu des blagues belges dont nous avons la pratique.
Le choix du système. Lors de notre première entrevue avec l’architecte, voisine et permacultrice, elle nous a dit, d’une phrase qui était plus proche de l’injonction que de la question “vous allez mettre des toilettes sèches ?”. Je n’y avais pas encore pensé mais j’ai répondu bravement par l’affirmative. Deux ans plus tard, ayant digéré la documentation livresque indispensable pour calmer mes angoisses (1), après avoir longuement hésité à installer un Clivus (le grand jeu sur deux niveaux, voir ici), je me suis décidé pour le modèle le plus simple, dit TLB. Ces toilettes à litière biomaîtrisée, pour faire court, c’est un seau avec de la sciure. L’avantage est que si l’expérience échoue, la maison n’en sera pas modifiée. Cinq ans après je n’ai pas regretté ce choix mais il faut se souvenir qu’il existe d’autres systèmes, par exemple avec séparation de l’urine, ce qui est fort utile pour la culture de spiruline.
Les grands précurseurs. Ma décision a été facilitée par l’expérience de la direction de La Gazette (2, 3). Je vais essayer de faire mieux bien sûr mais il fallait d’abord que je rende hommage aux pionniers. La démarche qui a consisté à voir de mes yeux le dispositif, d’avoir recueilli le témoignage des utilisateurs, vu et reniflé le tas de compost au fond du jardin a été une étape déterminante : ça marche, ça ne pue pas. C’est une excellente manière de retourner à la terre ce qu’on lui a pris, ce qui satisfait au moins un des dogmes de la permaculture. En ce qui concerne notre microcosme nous retournons à la terre bien davantage car nous sommes loin de ne manger que les légumes et fruits du jardin.
Le choix du fournisseur et du modèle. Désireux de compenser mon retard par une amélioration tangible, je renonce à bricoler un dispositif et finis par retenir une entreprise qui a un site internet bien fait et semble présenter deux avantages : d’abord elle est locale et ensuite elle offre des seaux en acier inoxydable, meilleure garantie d’hygiène que le plastique. Ce luxe a un prix, le seau tout seul vaut presque une centaine d’euros. L’entreprise en fait c’est un ébéniste, jeune selon ma référence personnelle, installé dans un lieu magique, sorte de jardin abandonné en terrasse, plein de charme, au pied du baou de Saint Jeannet.
Parmi les modèles disponibles, j’écarte le modèle de luxe, inutilement coûteux, j’apprends par la suite que faute de commandes, il n’en a jamais été fait qu’un seul exemplaire, que l’on peut d’ailleurs acquérir d’occasion. Nous optons pour le modèle trapèze, équivalent du classique mais sans le réservoir à copeaux : une apparence tout à fait civilisée pour une dépense optimale (Fig. 1). Le réservoir sera remplacé par un seau et une saucière en inox sera transformée en pelle à sciure. Malgré son nom évocateur, l’ustensile ne nécessite aucune prouesse acrobatique. L’artisan, Nicolas Thiebaut, a étudié la question de près et réussi à fabriquer des TLB de hauteur confortable sans bavette plastique, du fait d’une bonne cooptation entre le seau et la menuiserie. Ce détail me semble une garantie d’hygiène supplémentaire.
Pour celles et ceux qui seraient intéressés par l’auto-construction, un mode d’emploi détaillé est disponible sur internet.
L’apport de carbone. Lors d’un rendez-vous sur un parking de la vallée du Var, Nicolas nous a livré le trône avec deux sacs, un de sciure et un de copeaux. L’expérience montre que la sciure recouvre mieux mais que les copeaux peuvent jouer un rôle désodorisant en complément. Pour raffiner on peut utiliser la sciure d’abord, les copeaux ensuite ; de toutes façons il est préférable de veiller à ce que le papier soit déposé à côté du colombin (et non dessus) pour un recouvrement optimum. La scierie locale ne proposant pas de sciure, j’ai été dirigé par les permaculteurs locaux vers une entreprise de la zone industrielle de la plaine du Var (Deramond). J’y arrive en fin d’après midi, ce lieu semble désert et désolé ; je repère deux hommes qui m’orientent vers un hangar en m’invitant à me servir. Tout au fond de ce hangar immense et presque vide, un tas de sciure haut de plusieurs mètres. J’en remplis autant de sacs que ma voiture peut en contenir et repars sans autre formalité. J’ai répété cette opération chaque année sans problème.
Le compostage. Le seau rempli, il faut le vider. J’ai deux enclos à compost faits de palettes recyclées mais l’un est déjà occupé par une lasagne de crottin de cheval, argile, marne, et feuilles, et l’autre par un empilement comparable à base de fumier de mouton (4). Je décide de consacrer au fumier humain un composteur en plastique noir qui servait uniquement aux épluchures de cuisine (Fig. 2). L’inconvénient de ce composteur est que le produit fini qui s’entasse au fond n’est que partiellement accessible par la trappe. Pour le vider, il faut pratiquement attendre que le compost soit mûr et accéder au contenu par le haut. Ce composteur fourni gracieusement par la ville de Nice avait été supplanté par un autre composteur de même provenance qui aurait dû être meilleur, quadrangulaire, avec en partie basse quatre trappes d’accès au lieu d’une, mais qui présente un autre défaut : les quatre parois se disjoignent sous le poids du compost.
L’usage. A l’usage, je me suis rendu compte qu’il valait mieux vider le seau tous les deux jours, particulièrement lorsque nous sommes plus de deux personnes, pas à cause de l’odeur mais du poids qui diminue la facilité de manutention lors du vidage. L’absence d’un rebord externe au fond du seau, qui lors de mes recherches documentaires m’apparaissait comme un inconvénient pour cette manutention, s’est avérée sans conséquence.
Les réactions de nos invités sont diverses, ce ne sont pas forcément les écolos encartés qui s’adaptent le mieux mais nous n’avons pas sacrifié les toilettes d’origine et nous laissons la possibilité à toutes et tous de continuer à chier dans l’eau potable, sans leur reprocher ce comportement égoïste.
La rédaction de cet article me contraignant à relire ma bibliographie, je m’aperçois que nous avons pendant tous ces mois omis d’utiliser le brumisateur recommandé par Jacqueline Corbalan et jugé primordial par Courbou (2). Une nouvelle perspective s’ouvre à moi, pour un avenir meilleur.
Et la permaculture dans tout ça ? Après confrontation avec la solution retenue par mes voisins permaculteurs de la ferme du Collet, j’en arrive à la constatation que bien que la démarche TLB soit éthique et bonne pour l’environnement, elle ne satisfait que médiocrement les bonnes pratiques de permaculture sur le plan de l’efficacité. L’installation du Collet est spartiate mais ingénieuse : les personnes désirant s’exonérer ont à monter un petit escalier pour parvenir au niveau supérieur. Là, on ne s’assied pas mais on s’accroupit (5) au dessus d’un trou carré dans le plancher, partiellement protégé par quatre barres métalliques (on ne peut pas tomber dedans !). En dessous, les excrétats tombent dans un réservoir fixe qui est aussi le lieu de compostage, comme dans le système Clivus mais avec un moindre input selon le jargon anglo-saxon de la permaculture (un moindre investissement), et aussi un bien meilleur output. La sciure est mise à contribution comme dans mes TLB mais ici pas de transport ni de vidange de seau. Au bout d’un an le réservoir est plein et l’on passe sur un autre trou pour remplir le réservoir d’à côté. Le temps de remplir le deuxième réservoir, le contenu du premier s’est transformé en humus à peine humide, parfaitement inodore et utilisable comme fertilisant. Au niveau supérieur, un point d’eau avec un tuyau permet de nettoyer les éclaboussures éventuelles et de faire sa toilette intime. L’humidité ainsi apportée est considérablement plus réduite qu’une chasse d’eau, elle peut aider au compostage sans que la phase liquide submerge tout comme dans une fosse septique. La grande supériorité du système du Collet sur le Clivus réside dans le double réservoir et le recyclage du produit final. Dans le Clivus on peut attendre trente ans avant de vider le réservoir mais cela veut dire que l’on aura restitué à l’atmosphère une partie du carbone, sous forme de gaz carbonique (CO2), presque tout l’azote sous forme de gaz azote moléculaire (N2) et qu’il ne restera que quelques sels minéraux.
G.N.
(1) Un petit coin pour soulager la planète, C. Elain 2009, ed. Eauphilane. Un excellent dossier avec une bibliographie très complète a été publié dans le n°387 de février 2011 de la revue Silence. Un bon manuel gratuit est aussi disponible sur internet, voir ref (5).
(2) Courbou 2009, Ca toilette sec à la Gazette, La Gazette des Jardins n°88.
(3) Courbou 2010, Un petit pet pour l’homme, un grand pas pour la fumanité, La Gazette des Jardins n°93
(4) G. Depinaud 2011, Aventures en permaculture 16 : L’azote, La Gazette des Jardins n° 98
(5) La position accroupie est plus physiologique que la position assise et facilite le transit : c’est très clairement expliqué avec un schéma dans “Le charme discret de l’intestin” de Giulia Enders. J’ai le projet d’améliorer mes toilettes avec un petit tabouret pour surélever les pieds, comme suggéré dans ce manuel du bien chier.