Gilles Lapouge maîtrise l’art difficile de l’enlèvement onirique, de l’envol narratif, du détournement de lecteur…
Je m’explique, il nous propose une histoire banale : un homme, le narrateur, sort de l’ascenseur d’un hôtel à Belém do Parà, lorsqu’un enfant lui saute dans les bras en l’appelant papa. Il ne connaît pas cet enfant. Cependant il accepte cette paternité instantanée.
Encore deux lignes et Lapouge nous dérobe le sol de sous les pieds. Il nous emmène en Inde , devant une maison « jaune et ocre, la couleur du vent » où il va poser ses valises. Puis nous voilà soudain à Champtercier dans l’épicerie de madame Magnan, puis à Saint-Malo chez les écrivains-voyageurs…
Nous n’en sommes qu’à la page douze. Le roman tourbillonne dans l’imaginaire de l’écrivain. Il nous emporte dans sa dérive. Si nous en avons le talent, nous le suivons.
Ce court roman n’est pas un policier, ni un récit de voyage, ni un traité psychanalytique, ni un mélo, ni une synthèse ontologique, ni une mystification, mais il est tout cela à la fois.
Il devrait se lire dans un hamac, par 37° à l’ombre. Le livre nous tomberait des mains et l’on rêverait de « Jours tranquilles à Clichy ». De qui est-ce ? d’Henry Miller. On se réveillerait à Belém dans la cuisine de Maria de Lurdes, la mère de l’enfant. Et dans les mensonges du héros et dans la Guyane de Blaise de Pagan, le meilleur géographe de Louis XIV…
Grand exercice de virtuosité d’écriture, ce Lapouge est vivant comme un bouillon de culture. Il ne faut pas craindre la contagion.
Qui va nous faire un film de ce scénario brûlant?
Nuits tranquilles à Belém, de Gilles Lapouge (Arthaud) 163 p. 15€
Alain Hervé