Aurons-nous de la neige à Noël ? par Yves Paccalet, le 4 déc. 2014
Aurons-nous de la neige en hiver ? À Noël ? Dans les Alpes et les autres montagnes de France et d’Europe ? Quelle neige ? Naturelle ou artificielle ? Le fruit des nuages ou le produit des canons ? Les stations de ski sont inquiètes : elles ont raison de se faire du souci. Courchevel devait organiser des championnats du monde de ski féminins : une bonne partie de la station est encore en caillasses et en vieille herbe. Val d’Isère court (comme presque chaque année, désormais) après son Critérium de la Première neige.
Les optimistes peuvent refuser de voir, dans ce défaut chronique de flocons, un effet du réchauffement climatique. Mais les réalités sont têtues : le traîneau du Père Noël glisse de moins en moins bien sur les pentes. Pourra-t-on lui remettre un peu de blanc sous les patins ?
Voici des années que je le répète aux responsables des stations et aux gestionnaires de nos montagnes qui furent blanches : nous perdons, en tendance, chaque année un jour d’enneigement et un centimètre d’épaisseur cumulée d’eau en cristaux. Cela semble minime à ceux qui ne regardent que le bout de leur nez : mais un jour par an, en trente ans, cela fait un mois, soit plus du quart de la saison actuelle !
J’ai pris, il y a deux ans, la photographie impressionnante d’un essai de canons à neige à Courchevel. Des dizaines de ces engins en train de cracher leur vapeur gelée… Est-ce LA solution ? Primo, selon le vocabulaire officiel, on ne doit pas dire « canons à neige », mais « enneigeurs ». Secundo, on ne parle pas de « neige artificielle », mais de « neige de culture ». La litote ou la novlangue n’ont pas fini de nous reformater les neurones.
Les canons à neige semblent une solution miracle. Beaucoup de stations s’en sont équipées. Mais ces instruments de production de flocons nécessitent des réserves d’eau en altitude, donc des barrages (des « retenues collinaires », dit la novlangue). Ils consomment énormément d’énergie (d’électricité). Seules les communes les plus riches peuvent se les payer. De toute façon, pour fonctionner, ces engins ont besoin de froid (si possible, au-dessous de 0 degré Celsius) et d’une atmosphère plutôt sèche (l’idéal : un taux d’hygrométrie voisin de 20 %).
Ce n’est pas gagné. Le réchauffement climatique sévit en montagne deux fois plus vite qu’en plaine. Cela signifie moins d’eau, ou de l’eau qui tombe sous forme de pluie au lieu de neige. Et trop de chaleur dans l’atmosphère pour fabriquer de la neige artificielle…
Les stations de ski aujourd’hui en activité fonctionneront-elles encore dans trente ans ? J’en doute pour celles de basse altitude, autour de 1 000 mètres, autrement dit pour la quasi-totalité de celles du Massif central, du Jura et des Vosges. Nombre de ces communes sont d’ores et déjà en difficulté. Certaines ont mis la clé sous la porte.
Dans les Alpes et les Pyrénées, les plus hautes (Courchevel, Val d’Isère, Val-Thorens, les Deux-Alpes, la Mongie, etc.) survivront plus longtemps, mais au prix d’investissements aussi affolants qu’incertains.
Si la montagne veut garder son tourisme, elle n’a d’autre issue que de compter sur les quatre saisons et la belle nature. Je veux dire : au moins autant sur les parcs nationaux et les balades, que sur le ski et les activités connexes. Sur les ours, les loups et les chamois, autant que sur les kilomètres de pistes bleues ou rouges…
On me répond parfois, ou même on me serine, que la science et la technique permettront de contourner le problème. L’une des « solutions » envisagées consiste à ajouter, dans l’eau des canons, des produits chimiques susceptibles de déclencher la formation de cristaux de neige à une température et dans les conditions d’hygrométrie en principe néfastes. L’une de ces molécules « révolutionnaires » s’appelle le Snomax ®.
Le Snomax ® est une protéine, une enzyme (nommée INA pour Ice Nucleating Activity), fabriquée par la bactérie Pseudomonas syringae. Elle possède le pouvoir « magique » d’activer la précipitation des cristaux. Une firme américaine (Genencor) cultive de tels microbes en grand pour leur faire produire la précieuse protéine, puis désactive (tue) les bactéries avant de finaliser le produit. Et de le mettre en vente…
Les scientifiques semblent pour le moins réservés sur ce sujet ; pour ne pas dire inquiets… Le milieu de culture et certaines parties du génome des Pseudomonas (ce qu’on appelle les « plasmides ») ne sont pas détruits par le processus de production. Il peut y avoir des récupérations d’unités génétiques venues d’ailleurs par des bactéries locales. Les gelées blanches pourraient s’en trouver aggravées : danger pour l’agriculture et la biodiversité…
On ignore surtout les effets des composants du Snomax ® sur la santé humaine : quasiment aucun test à long terme n’a été mené dans ce domaine…
La note rassurante est que les stations de ski françaises se sont engagées à n’introduire aucun additif chimique dans l’eau de leurs canons à neige. Deux questions se posent cependant : 1. Respectent-elles toutes leur promesse ? 2. Continueront-elles de le faire si la neige se raréfie au point que leur clientèle les délaisse ?