Le 5 décembre 2014 à Paris, dans les locaux de l’Assemblée nationale, se tiendra le colloque de la journée mondiale des sols sur le thème des services rendus par les sols.(1) J’ai eu l’occasion d’interroger Jean-Claude Marcus (JCM), administrateur de l’Association Française pour l’Etude du Sol, qui organise cette journée.
L’objectif de ce colloque semble à première vue un peu formel et académique. Si j’ai pensé nécessaire d’attirer l’attention des fidèles du Sauvage, c’est qu’une donnée a retenu mon attention. Un chiffre qui me semble à la fois sensationnel et d’une grande importance politique. Cela se résume dans l’affirmation que pour compenser l’excès de gaz carbonique d’origine anthropique (la cause principale du bouleversement climatique), il suffirait d’une augmentation de 0,4 % de la fixation de carbone par les sols.
GN : Si j’ai bien compris, l’important ne serait pas tant de réduire les émissions de CO2, objectif proclamé des conférences sur le climat, mais de ne pas réduire la capture de ce gaz et si possible de l’améliorer en traitant mieux les sols…
JCM : Effectivement
1° – l’effet de serre s’accroît parce que la concentration des gaz à effet de serre (GES) augmente dans l’atmosphère
2° – on ne regarde que l’accroissement des émissions de GES
3° – on oublie simultanément la réduction en capacité des puits à carbone : océans et sols
4° – on sous-estime d’autant la tendance et on réactualise régulièrement en faisant semblant de se demander : comme ce fait-ce ?
A quoi servira d’émettre moins de GES (ce qui n’arrive toujours pas) si c’est pour en capter moins encore (ce qui est le cas et le devient de plus en plus) ?
Pour l’océan, c’est foutu : l’acidification due au CO2 entraîne une réduction des sédiments carbonés (coquilles et arêtes) et des accumulations carbonées (coraux).
Pour les sols, c’est encore jouable : 4 pour mille de carbone capté en plus par an effaceraient l’excès cumulatif des GES.
Néanmoins on continue les coupes rases dans les forêts, les labours profonds laissant les sols dénudés et émetteurs de GES, les apports à base de pétrole et de gaz (engrais, fongicides, insecticides, herbicides) qui généralement excèdent les calories produites par photosynthèse et plus encore celles qui seront utilement consommées.
Tant que nos dirigeants resteront ignorants des grands facteurs du climat et craintifs devant la levée d’ignorance, à commencer par celle du peuple, nous continuerons de financer à crédit la production de la corde pour nous pendre.
GN : Que doivent faire les pouvoirs publics ?
JCM : Il y aurait 3 avancées législatives simples qui faciliteraient la transition, et toutes sont des réparations de rupture d’égalité :
1° les sols agricoles doivent être des zones d’activités agricoles, dotées des mêmes avantages et garanties que les autres zones d’activité économique;
2° l’amélioration du bilan carbone par la double entrée de la réduction des émissions et de la capture du CO2 doit être rémunérée comme le sont les certificats d’économie d’énergie (plus qu’eux si l’on regarde plus loin);
3° les exploitants agricoles et leurs employés doivent bénéficier des mêmes droits à la formation que les employés des bureaux et (pour ce qui en reste) des usines.
GN : N’est-ce pas davantage un problème forestier qu’un problème agricole ?
JCM :
Pour ce qui concerne la conservation des sols la couverture végétale permanente est le facteur clé.
Vient ensuite l’évitement du labour.
Puis l’assolement.
La gestion de la forêt est bien entendu complémentaire
1° Pour faire face au changement climatique il faut généraliser la futaie irrégulière en “jardinage” : contrôler la hauteur des arbres, leur âge, les essences, les zones de vieillissement et de sénescence
2° Pour faire face à la pollution de l’air et accroître le puits à carbone des sols forestiers il faut plus d’arbres, plus de forêt, plus encore dans et autour des agglomérations
3° Pour prévenir les îlots de chaleur il faut plus d’arbres, plus de forêt, plus encore dans et autour des agglomérations
GN : Avec quelles incidences économiques ?
JCM :
1° le poste bois est le 2ème déficit national (-7 milliards d’euros) après les hydrocarbures
2° la prolifération incontrôlée des chaufferies à bois (bravo l’Ademe !) accroît encore durablement ce déficit
3° les déchets de bois sont écartés des incinérateurs, où ils brûleraient bien, pour partir faire de la chaleur et de l’électricité dans les pays du Nord
4° si nos biodéchets étaient triés à la source et méthanisés ils produiraient du carburant, de la chaleur, de l’électricité, et des digestats rechargeant les sols en carbone organique
5° au lieu de cela ils sont incinérés, ce qui accroît encore les GES et la fonction de pompe à carbone massive des agglomérations
6° le gisement des biodéchets, convenablement exploité, éviterait de saccager durablement les forêts et d’accroître les importations de plaquettes et de granulés pour les chaufferies à bois, qui accroissent ainsi mécaniquement et durablement l’endettement du pays.
GN : Je ne peux malheureusement pas me rendre au colloque sur les services rendus par les sols mais je vais essayer de suivre cette question pour essayer d’abord de me convaincre qu’un changement de 4 pour mille dans la gestion des sols suffirait à écarter le cauchemar climatique, d’apprendre comment on a pu calculer ce chiffre et ensuite de comprendre précisément comment réaliser ce changement, qualitativement et quantitativement.
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(1) Cette journée annonce et prépare une manifestation plus vaste :
L’Organisation des Nations Unies pour l’alimentation et l’agriculture (FAO) a été désignée par l’ONU pour mettre en œuvre l’Année internationale des sols 2015, dans le cadre du Partenariat mondial sur les sols et en collaboration avec les gouvernements et le secrétariat de la Convention des Nations Unies sur la lutte contre la désertification. http://www.fao.org/soils-2015/fr/