Il n’est pas très original de rappeler que l’opposition entre les Girondins décentralisateurs, respectueux des particularités locales, et les Jacobins, pour qui l’Etat central doit tout orchestrer, donne une grille de lecture politique toujours actuelle. Les Jacobins ont pris le dessus en 1793 en guillotinant simplement les députés Girondins et il semble que leur vision soit encore largement hégémonique dans notre pays.
C’est la lecture d’un article de Dominique Bourg dans Le Monde qui m’a incité à réagir en invoquant l’esprit girondin habituellement révéré des écologistes. Pour celles et ceux qui ne le connaitraient pas, Dominique Bourg est professeur à l’Université de Lausanne, Vice-président de la Fondation Nicolas Hulot et auteur de nombreux ouvrages qui servent avec talent la cause de l’écologisme.
Son interprétation du message envoyé aux écologistes à l’occasion du récent scrutin municipal français est à l’opposé de celle publiée récemment sur le site du Sauvage. Il dénonce toute interprétation optimiste des élections municipales pour les Verts : “Le contraste entre la chute du socialisme municipal – la perte de 177 villes – le désaveu du gouvernement Ayrault et, par contraste, l’élection d’un maire Vert à Grenoble, laisse espérer une embellie verte, sur fond de déroute socialiste. Les Verts pourraient être une force montante, propre à redessiner le paysage politique futur et à contrer la montée en puissance du Front National. Ce pronostic relève de la chimère. Grenoble constitue un hapax politique, un cas absolument unique, imputable en grande partie à une surreprésentation des cadres de formation scientifique…A quoi s’ajoute la personnalité très originale et attachante, doté d’un profil très « éthique », rare en politique, du nouvel élu, Eric Piolle. Il y a fort à parier que dans une ville aussi marquée par les activités scientifiques que Grenoble, les Verts y soient réellement verts, à savoir authentiquement soucieux d’environnement et d’écologie. Plus généralement les Verts n’incarnent que mollement la cause environnementale et n’ont que peu de relations avec les milieux qui portent à des titres divers cette question. Leur identité me semble avoir plus affaire avec la défense des minorités et de leurs droits qu’avec les questions écologiques.“
Pourquoi ce penseur que je n’ai aucune raison de considérer comme insincère a-t-il ignoré le fait qu’il y avait maintenant une trentaine de maires écologistes dans les villes de plus de 1000 habitants, alors que le Front National n’en revendique qu’un peu plus d’une dizaine ? Je propose l’explication suivante : la grille de lecture médiatique en France est largement dominée par la radio et la télévision nationales, et quelques grands quotidiens, nationaux eux aussi. Cette grille jacobine est naturellement celle par laquelle un observateur suisse ou parisien obtient ses informations. Le moindre désaccord entre députés ou leaders écologistes, l’anomalie de ministres EELV dans un gouvernement productiviste, sont considérés comme des évènements politiquement importants et significatifs à propos desquels nous sommes inondés d’informations. Ce qui se passe à Paris est-il si important ? A part les militants et les élus, qui connait le remarquable réseau de renseignement et d’entraide de la FEVE (Fédération des élus verts et écologistes) ? Qui connait le Cédis, centre de formation des élus locaux, ses publications très “professionnelles” qui ont certainement contribué aux succès évoqués dans le livre de Pascale d’Erm (Ils l’ont fait et ça marche).
En poursuivant la lecture du même article de Dominique Bourg, on trouve une autre interprétation que j’imagine biaisée par le filtre jacobin des médias : “Le choix d’Eva Joly contre Nicolas Hulot, lors de la dernière élection présidentielle, au-delà des arrière-pensées d’appareil, était assez clair. Grosso modo, les socialistes ont jeté aux orties les classes populaires comme les Verts ont bazardé l’écologie…”. Le choix (de justesse) d’Eva Joly a été largement décidé par qui voulait voter, pour une somme modique, et je connais des militants d’extrême gauche qui ne se sont pas privés, alors que l’appareil du parti à quelques exceptions près était en faveur de Nicolas Hulot, attitude partisane qui a même été reprochée à Cécile Duflot au cours des primaires. Je pense qu’Eva Joly a d’ailleurs pâti au cours de sa campagne du manque de soutien de la formation qu’elle était censée représenter.
Affirmer que “les Verts n’incarnent que mollement la cause environnementale et n’ont que peu de relations avec les milieux qui portent à des titres divers cette question” relève plus de la polémique que de l’analyse sereine, à moins que l’on ne sorte de “la cause environnementale” les questions du nucléaire, de l’aéroport de Notre Dame des Landes, des OGM ou des gaz de schiste…
Les chercheurs savent qu’on peut cependant parfois penser juste avec des prémisses fausses. Dominique Bourg a raison d’opposer l’écologie politique française “qualitative, plus soucieuse de concepts sociaux comme l’aliénation que de questions quantitatives, scientifiquement informées, comme celles touchant à l’explosion des flux de matières et d’énergie et de la démographie” à l’écologie politique anglo-saxonne “très soucieuse de fondements scientifiques, malthusienne et de droite“. J’ai noté dans son article un passage fort, qui m’a fait réfléchir : “Ils (les Verts) ont opté pour l’individualisme libéral, pour l’affirmation sans limites des droits individuels, choses qui ne font guère bon ménage avec ce qu’exigerait une authentique défense des biens communs comme le climat ou la richesse génétique des populations. Point de défense des biens communs sans règles communes, démocratiquement assumées. Une telle défense est inconcevable sans opposer des limites à l’affirmation absolue, et nécessairement à court terme, de l’individu et de ses droits.” Je souhaite prolonger cette réflexion en ajoutant que la vision individualiste est indissociable de la société de consommation et de croissance économique ; les Verts en cela sont seulement prisonniers de l’idéologie dominante, en partie par la difficulté d’imaginer l’effondrement de notre société, en partie par la nécessité démocratique de ne pas être trop en rupture avec l’électorat. Il n’y a qu’une petite minorité du parti EELV, et une seule de ses personnalités connues en dehors du mouvement (Yves Cochet), qui formule clairement l’impératif de prendre en compte politiquement le pic pétrolier et de manière plus générale l’épuisement des ressources de la planète.
En conclusion de son article Dominique Bourg évoque la nécessité de réduction des inégalités, qui “ne devrait pas apparaître comme un discriminant politique (droite/gauche), mais comme une nécessité morale et fonctionnelle“, certes, et on peut déplorer que le gouvernement actuel étiqueté à gauche s’y emploie si mal mais j’ai peine à imaginer qu’un gouvernement de droite s’empresserait de mieux faire sur ce chapitre.
La dernière phrase de cet article “L’interprétation des défis du présent à la lumière de la pensée écologique appelle une refonte de l’organisation sociale et non un jeu d’appareils” peut être interprétée de diverses façons. J’aimerais lui faire dire que l’organisation sociale sera refondue par les petits maires girondins, le mouvement des Territoires en transition, le mouvement des Colibris, et pas par les appareils jacobins même si certains de ces appareils vont dans le bon sens.
Ghislain Nicaise, chroniqueur provincial