Nous publions en feuilleton le pèlerinage de Jean-Luc Fessard, un ancien des Amis de la Terre co-organisateur avec Brice Lalonde de la célèbre manif à vélo du 22 avril 1972. Marcheur bien entraîné et observateur de la nature et de ses compagnons de route, il nous raconte cette expérience.
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Deuxième épisode
Le 28.04.2013 j’arrive en TGV à Tours à 18H00
En quittant la gare, j’ai retrouvé des amis, Olivier et Pascale S. avec leur chienne qui sont venus me souhaiter bon chemin. Photos. Puis je me suis rendu à l’accueil pèlerin de la basilique Saint Martin. Au repas le soir, les sœurs m’installent en face d’une jeune vietnamienne qui prépare un BTS de comptabilité à Vélizy. Un groupe d’une trentaine de retraités d’un pays d’Europe de l’est prennent également leur diner.
Demain je me mets en route, je suis heureux. Ma seule petite inquiétude est pour mon chat Guismov qui ne doit pas bien comprendre pourquoi je ne suis plus là.
29.04.2013 Départ de Tours pour Sorigny à 9H00 (c’est la matinée tranquille pour les sœurs, elles m’ont demandé si j’étais d’accord pour qu’elles ne me servent le petit déjeuner qu’à 8H30). Avant, privilège rare je peux pénétrer dans la basilique et la parcourir totalement vide, car ma clé permet d’y accéder. Par contre je ne trouve pas le bouton qui permet d’éclairer la crypte de Saint Martin. Les documents proposé par les sœurs dans la chambre expliquent que le pèlerinage de Saint Martin est plus ancien que celui de Compostelle et que le chemin se faisait de l’Espagne jusqu’à Tours avant que le flux s’inverse en direction de Compostelle lorsque le tombeau de l’apôtre a été découvert.
Repas + hébergement chez les sœurs, c’est le donativo elles demandent 24€, je laisse 40€
Je traverse Tours pour rejoindre le point de départ du GR. Il fait beau. Le chemin longe les bords du Cher. C’est une très belle balade, de près d’une heure. A part un barrage qui écume et prouve que l’eau ne doit pas être très propre. Avant Saint Avertin, je rattrape un petit groupe de marcheurs qui vont à Châtellerault. Une marche très agréable avec une pause repas à 13H30 à Vigné devant une boulangerie. Très bon pain et bon gâteau au nougat (6€). J’arrive à Sorigny vers 16H. Je visite l’église et prend en photo un Saint Roch.
Hébergement à Sorigny chez madame O. (40€) Une femme très gentille, un jardin impeccable, une maison agréable. Je prends le repas avec elle et son mari qui a fait un AVC et depuis a du mal à parler. Ils ont eu trois filles dont l’une, qui a également eu trois enfants est décédée.
Soupe de légumes du jardin, tarte aux oignons, gâteau au chocolat et une énorme orange. Soirée très sympathique.
Parcouru : 26 km
30.04.2013 Départ à 8H30 de Sorigny à Sainte Maure. Tampon apposé sur la crédenciale à la mairie. Aujourd’hui un temps couvert au début puis de la pluie pendant 3 heures. Stupeur et stupidité : j’étais en train de constater qu’il y a peu d’animaux dans les champs (un écureuil hier en forêt) lorsque je vois quatre ou cinq oiseaux noirs, style Corneilles, condamnées à faire un étrange vol stationnaire car elles sont attachées par un fil à un piquet. Offusqué de tant de cruauté je suis en train d’envisager de prévenir la LPO (ligue Protectrice des Oiseaux) lorsque je me souviens avoir lu un article sur un agriculteur (Allemand ?) qui propose ce type d’épouvantails aux céréaliers. Et je dois dire que l’imitation est parfaite, à s’y méprendre. Par contre, dans le même coin, la couleur roussie des herbes signale l’usage de pesticides. A Sainte Catherine de Fierbois j’ai le bonheur de prendre un repas dans la petite auberge Sainte Jeanne d’arc. Car je commence à me lasser de la pluie. Avant, j’ai doublé un autre pèlerin pieds nus dans des sandales qui faisait de l’équilibre pour enfiler un pantalon de pluie. Je me félicite de mon choix d’une seule veste bien étanche. Repas au top : 10€50 pour des travers de porc et une mousse au chocolat. Le restaurant sur deux étages est plein alors que le village semble tout petit, certes le rapport qualité prix est excellent mais d’où viennent tous ces clients ? Tampon à l’épicerie, poste…
Arrivée à Sainte Maure je suis trempé même si la pluie s’est un peu calmée dans l’après-midi. Visite de l’église puis passage à l’office de tourisme (tout neuf mais assez éloigné du centre) tampon et aide pour trouver de futurs hébergements. J’arrive à traiter mes mails, Olivier Roellinger me propose de créer le club des journalistes de la mer. A suivre.
Hébergement chez Mr et Mme N., une maison dans une petite impasse privative, en contrebas de l’église, derrière un grand portail en bois. Apéritif maison avec Mr N., vin d’orange. Repas : soupe aux légumes du jardin, paupiette de canard pommes écrasées, tarte aux pommes. C’est bon mais trop copieux après le repas de midi. Discussion avec Marie-Laure autour de l’écologie, du bio… ils me conseillent le livre de Bénédicte Manier : Un million de révolutions tranquilles. Hébergement grand luxe : 80€ (plus la ceinture d’un de mes pantalons que Marie-Laure a retirée pour laver le linge que je lui ai confié et ne m’a pas restituée. Merci néanmoins à elle, car tout était trempé et dans mon sac, tout est maintenant bien sec. )
Parcouru : 23km (49km)
Le 1.06.2013 Départ à 8H30 de Sainte Maure à Dangé Saint Romain. Dès la sortie de Saint Maure pluie battante pendant 2H. Arrivée à Draché tout humide. Temps ensuite couvert, je mange juste une banane aux Ormes car la seule boulangerie ouverte n’a plus rien à proposer. J’arrive à Dangé Saint Romain à 14H15. J’ai marché à 4,5 km/h de moyenne car je n’ai pas fait d’arrêt. Chance, un café est ouvert : sandwich rillette avec une bière et un café = le bonheur. J’ai revu des épouvantails nettement moins bien imités, cette fois pas de doute. Gros problème avec mon porte-carte : il n’est pas étanche et le scratch de fermeture a déchiré ma super veste de pluie, en plusieurs endroits. 200€ de fichus pour une mauvaise conception. Il y a quelque chose à inventer, avec celui de Go Sport bien étanche mais dans une matière qui ne permet pas de lire les détails des cartes (plus loin je vais en trouver un bien conçu chez Decathlon)
Soirée chez Claude et Marie- Thérèse D.. Une famille d’enseignants avec un garçon et deux filles. Cinq petits-enfants (Deux garçons et trois filles). Claude professeur de français a été, pendant 23 ans, directeur d’un collège catholique. Il a fait le chemin jusqu’à Saint Jacques en passant par le nord. Tous les deux sont adorables, tout mon équipement est sec le matin du départ. Super.
Parcouru : 26km (75km)
Le 2.05.2013 Départ de Dangé Saint Romain à Châtellerault. Avec Claude qui me met sur la route. Claude marche à une vitesse folle. Hier il m’a fait gagner plusieurs kilomètres en m’indiquant un trajet plus direct que le GR. Ce matin j’hésite à prendre le chemin jacquaire plus direct qu’il m’indique, car l’étape est courte (18km). Je commence par m’égarer pour rejoindre le GR car il y a un brouillard très épais, j’arrive à un château qui émerge de la brume ambiance Grand Meaulnes. Puis sur le GR au niveau d’Ingrandes je marche pendant une heure avec Philippe un pèlerin parti le 4 avril de Mons. J’arrive à Châtellerault à 13H15. Repas à L’industrie 13€40, cannette, tarte au citron avec un verre de vin, c’est parfait.
J’arrive enfin à voir le Saint Jacques dans l’église du même nom, il est magnifique. Je prends plusieurs belles photos (qui seront finalement perdues comme nous le verrons plus loin). Il y a également une statue de Saint Roch. Ensuite, échange dans la maison diocésaine en face, avec l’accueillante qui appose un tampon. Elle me demande d’avoir une pensée à Compostelle pour son mari Marc P. décédé il y a un an. A l’office de tourisme exceptionnellement deuxième tampon, car il représente également la magnifique statue (j’ai choisi de ne faire apposer qu’un seul tampon par étape). Incroyable mes bouchons de bâtons de marche sont déjà usés. Devant l’église je croise un hollandais qui avec son vélo pense être à Saint jean Pied de Port dans 15 jours et envisage de poursuivre à pied. A l’OT un pèlerin barbu de Castres, qui repart travailler, me conseille le chemin du nord et me recommande le gite d’Ostabat dont m’a parlé Jean P. avec son hospitalier toujours coiffé de son béret. Il me parle également du père hospitalier, avant Santander, évoqué par Jean-Christophe Ruffin et qui serait un must du Camino del Norte. Presque 100 km d’effectués, selon mes calculs (erronés) il me reste à effectuer seize fois la même chose.
Parcouru : 19km (94km)
Je crois avoir perdu mon stylo auquel je tenais, autour de l’office de tourisme, pour aller en voiture avec Jacques jusqu’à sa maison. Une belle ferme ancienne, bien restaurée par l’ancien propriétaire, où Jacques habite depuis quelques années avec sa femme Patricia. Triste nouvelle : un renard a mangé l’une des plus belles poules rousses qu’ils élèvent. Jacques et Patricia font le chemin par petites étapes ils sont arrivés à Bordeaux et prévoient de bientôt rejoindre Saint Jean Pied de Port. Ils hébergent depuis 2 ans qu’ils sont à la retraite des pèlerins dans cette maison et pratiquent le donativo. Patricia a travaillé comme enseignante avec Claude D..
J’ai passé une bonne nuit dans la chambre « asiatique », ainsi nommée car son fils fait du karaté et que Patricia s’y ai mise à son tour. Aujourd’hui elle pratique la voie du sabre et elle enseigne le karaté. Elle a un sabre fait sur mesure. Elle parait toute douce mais doit être très forte. Jacques a le visage buriné de quelqu’un qui a beaucoup bourlingué. Je sais seulement qu’il est retraité, de quoi mystère ? Patricia nous a fait d’excellentes endives au jambon et du pain perdu. Ils pratiquent l’accueil jacquaire avec une fraternité simple, spontanée, sans exclusive. Par exemple Jacques me demande mon prénom et ne veut pas connaitre mon nom « Il accueille même les repris de justice s’ils font le chemin » dixit. Intéressante, cette fraternité jacquaire, à priori, pour tous ceux qui ont fait, font ou vont faire le chemin. Donativo 30€ je ne suis pas très généreux, même si je ne pense pas encore être atteint du « radinisme*» pèlerin, bien décrit par Jean-Christophe Ruffin. Mais plus probablement par comparaison avec les hébergements précédents et le fait que la douche (pas impeccable) soit dans une sorte de chaufferie très loin de la chambre.
*(Le mot exact serait radinerie, mais cette attitude constante du pèlerin lambda mérite d’entrer dans la catégorie des « ismes »).
Le 3.05.2013, Départ de Châtellerault pour Vouneuil.
Jacques me raccompagne jusqu’à l’office de tourimse d’où je pars à 8H15. Je repasse près de l’église St Jacques puis je longe la Vienne lorsque je réalise que j’ai oublié de prendre de l‘argent. Près d’Ozon je demande dans une pharmacie où je peux trouver un distributeur. Etrangement les personnes m’indiquent la poste assez loin. Ils semblent « oublier » le Crédit Agricole beaucoup plus proche. Lorsque je m’y rends, je comprends pourquoi. Devant le bar, juste à côté de la banque, il y a 3 jeunes beurs désœuvrés qui sont postés là et « tiennent les murs ». Je ne me sens pas rassuré de tirer de l’argent (200€) sous leurs yeux. Je les salue, ils me répondent et me demandent où je vais. Ils ne savent pas ce qu’est Compostelle ils comprennent que c’est au-delà du pays basque en Espagne et me citent Barcelone et Madrid. Ils me demandent si c’est important pour moi, je leurs réponds que, comme moi des gens ont fait ce chemin depuis « mille ans ». Ils me souhaitent bonne route et retournent à leurs inoccupations.
Avant Cenon, je retrouve Philippe qui vient de casser la fermeture éclair de sa braguette et tente en vain de la réparer. Je ne le reverrai que beaucoup plus loin en Espagne. Puis je suis doublé par un allemand à vélo qui prévoit un mois pour rejoindre Compostelle Dans Cenon pause-café. Trois allemands sont attablés, je leurs donne quelques indications sur le trajet à suivre. Ils sont très organisés et voyagent, deux sur des vélos, un au volant d’un camping-car, en alternance. Ils évitent ainsi de porter leurs bagages et prévoient de rallier Saint Jacques en 21 jours. Nous dévalisons les énormes pains aux raisins de la boulangerie proche. Ici, première bifurcation par rapport au chemin officiel, je quitte le chemin de Tours, relativement bien balisé pour, à Lussac les Châteaux, rejoindre un chemin parallèle. Je passe près des ruines Gallo-romaines de Poitiers le vieux. Un amphithéâtre qui pouvait accueillir jusqu’à 10.000 personnes. Je vais ensuite jusqu’au site de Moussais, lieu probable de la bataille de Poitiers entre Charles Martel, le comte Eudes et Abderrahmane, en 732 (733 ?). Je comprends qu’il subsiste beaucoup d’incertitudes sur la réalité de cette bataille et sur ses enjeux réels. Puis je descends vers Vouneuil où j’arrive à 14H30. L’église est ouverte mais pas de chance, l’habituel café des sports est cette fois fermé. Je décide d’aller chez le coiffeur, car mes hospitaliers du jour, ne seront là qu’à 16h. Il me fait une coupe tellement courte que je n’aurai plus besoin de retourner chez le coiffeur pendant tout le chemin. Et comme je lui donne un pourboire, il m’offre une grosse bouteille de shampoing avec une bonne odeur de vanille (250 gr de plus dans mon sac). Puis pour passer le temps je vais à la médiathèque proche où je peux gérer mes mails. A l’heure prévue, je retrouve mes hôtes Michel et Liliane G.. Ce sont deux pèlerins qui ont fait plusieurs fois le chemin et montent également sur les planches. Ils sont ravis de m’accueillir. Nous échangeons longuement. J’ai beaucoup aimé ce couple. Lui plutôt grand, les cheveux encore assez noirs, tirés en arrière avec un catogan, moustache épaisse, regard noir, il a vraiment « une gueule » qui doit être parfaite pour le théâtre. Elle, très enjouée, qui dans les discussions, par association d’idées se met soudain à déclamer des textes tirés de leurs contes ou de leurs pièces. Dont certains concernent la végétation en particulier « l’herbe de Marie ». Elle est mère de quatre enfants et ils ont sept petits enfants (dont un décédé). Ils ont fait, à pied de chez eux, une première fois le chemin jusqu’à Saint Jacques en passant par le « camino primitivo ». A l’ancienne, avec leurs amis qui les accompagnent pour le départ. Et un sac trop lourd qu’ils doivent progressivement vider. Puis une deuxième fois en vélo à partir du mont Saint Michel.
Donativo 30€ (rétrospectivement pas très généreux, le radinisme me guette)
Parcouru : 22km (116km)
Le 4.05.2013 départ à 9H15 de Vouneuil pour Chauvigny. Horaire prévu 8H30 mais je passe encore beaucoup de temps à discuter avec Michel et Liliane. Et cette fois marche toute la journée sous le soleil avec deux conséquences: de beaux coups de soleil sur les bras et …
Par Jean- Luc Fessard
A suivre la semaine prochaine