par Ghislain Nicaise
17- L’azote (d’après La Gazette des Jardins n° 98, juillet-août 2011)
La théorie
Les plantes, avant de nous nourrir, doivent se nourrir. Si je me fie aux cours que j’ai subi dans mon jeune temps, elles sont composées comme nous de carbone, d’hydrogène, d’oxygène, d’azote, de soufre, de phosphore (C, H, O, N, S, P), de quelques métaux comme le sodium, le magnésium, le potassium, le calcium, enfin d’une variété d’oligo-éléments, indispensables eux aussi mais en très faibles quantités. Elles se débrouillent toutes seules pour les hydrates de carbone, les sucres au sens large, l’amidon, la cellulose, des molécules qui ne contiennent que C, H et O, pourvu qu’il y ait du soleil. Elles puisent leur carbone dans l’air, sous forme de gaz carbonique. Elles ont besoin d’eau pour la circulation de leur sève mais aussi comme aliment pour en tirer l’hydrogène, la base de toute nourriture si l’on en croit les manuels de biologie cellulaire. Maintenant l’azote, indispensable pour la fabrication des protéines, l’azote qui donne un beau feuillage, pose un problème plus délicat : les plantes ne peuvent utiliser ce gaz bien qu’il représente 78 % de l’atmosphère. La plupart des plantes se fournissent en azote par des ions minéraux (on dit aussi inorganiques) les nitrates, l’ammonium, solubles et facilement entrainés par l’eau. On peut en amener en quantité plus ou moins contrôlée par les engrais “chimiques” et polluer les nappes aquifères ou, meilleure solution, encourager la libération sur place, progressive, par les microbes (1). Le jardinier chimique pourra objecter que l’effet stimulant d’une bonne pluie d’orage n’est rien d’autre qu’un apport d’azote minéral, associant l’azote et l’oxygène de l’air sous l’effet des éclairs. De nombreux microbes se contentent de dégrader les cadavres de plantes ou les déjections d’animaux, ce qui donnera des composés azotés minéraux assimilables par les racines, mais en plus quelques uns ont la merveilleuse aptitude de fixer l’azote de l’air. Certaines de ces précieuses bactéries vivent dans les nodosités des racines de légumineuses (il semble que l’on utilise maintenant plus souvent le terme de Fabacées, même si ce n’est pas exactement le même ensemble) et c’est ce qui permet au trèfle, à la luzerne, aux pois, d’enrichir le sol en azote. D’autres bactéries fixatrices d’azote vivent simplement dans le sol superficiel, près de l’air. C’est peut-être pour cela que les castanéiculteurs que j’ai rencontrés préconisaient de creuser le trou de plantation longtemps à l’avance ?
Le manque
Comme évoqué dans de précédents épisodes, notre terrain, au moins dans sa partie plate devant la maison, est constitué d’une argile de remblai. Bien que le terrassement initial date de dix ans, les fabacées pionnières n’ont pas fini d’enrichir le sol en azote. La maigreur de la prairie en témoigne.
Dès le départ, alors que la partie potager était négligée au profit de la plantation d’arbres, j’ai essayé quelques tomates et quelques courges, en remplissant le trou de plantation de compost familial. Certains plants de tomates ont bien poussé, particulièrement ceux qui étaient adossés à des canisses qui leur ont probablement procuré un microclimat favorable ; le principal échec vient des courges. La figure 1 montre le seul potimarron récolté en 2009, à côté du seul potimarron récolté en 2010 : la pièce de deux euros donne l’échelle.
Il a peut-être manqué certains éléments, peut-être aussi que mes graines n’étaient pas bonnes, ou mon compost mal équilibré, mais je décide que le grand absent était l’azote. Il me faut prendre le problème sérieusement, pas le taureau par les cornes mais plutôt à l’autre extrémité de l’animal.
La quête de fumier
L’élevage bovin ayant pratiquement disparu de la commune depuis cinquante ans, je n’aurai pas facilement de bouse de vache, mais juste à côté il y a des chevaux. Leur propriétaire ne les monte pas, ne les utilise pas pour le transport, elle les a sauvés de l’abattage et les entretient par amour des bêtes. Comme j’ai accordé un droit de pâture sur une partie de notre terrain, j’ai droit au crottin. Cet engrais semble être efficace sur le jardin du voisin autarcique mais sur le mien, je m’inquiète de trouver des unités de crottin intactes. Par unité j’entends le boulet lègèrement aplati de cinq à huit centimètres dans sa plus grande longueur, au nombre d’une à plusieurs dizaines dans une seule émission fécale ; avec mes excuses pour cette expression pédante, je ne sais pas comment nommer une bouse de cheval. Aucune trace d’insecte, une parfaite résistance aux intempéries et à la putréfaction bactérienne après plusieurs mois d’épandage autour de mes framboisiers qui peinent à prospérer. Je confectionne néammoins un tas enserré par des palettes de récupération, en alternant les couches de crottin, les feuilles de chêne et un peu d’argile : le résultat n’est pas enthousiasmant, mais la poussière noire que j’obtiens au bout d’un an sera utilisée pour la butte des myrtilles et fraisiers, plantes acidophiles. L’année suivante, j’ajoute un quatrième composant à ces lasagnes : de la marne, avec l’espoir de réaliser enfin le complexe argilo-humique, saint Graal du jardinier bio (1).
Le migon
Il n’y a plus de vaches dans les environs immédiats mais il y a des moutons. Les excréments des moutons ont reçu dans le pays le nom peu offensant de migon. Un ancien collègue qui a pris sa retraite ici me suggère de faire appel à son ami Dédé, qui pourra m’en livrer un tas, suffisant pour un jardin, en échange d’une petite indemnité. L’affaire est conclue : je montre à Dédé le seul espace accessible à un engin mécanique, la livraison devant se faire en mon absence. Quand je reviens sur les lieux, je suis à la fois satisfait et préoccupé par l’ampleur de la livraison. Le tracteur utilisé a creuse de profondes ornières dans le sol détrempé. Il pleut des rivières. Le tas s’étend sur plusieurs mètres carrés. Il a été déposé par un système de dispersion prévu pour couvrir de grandes surfaces ; dans le cas présent l’appareil étant resté sur place, le tas comporte une pyramide au milieu mais les environs sont aussi généreusement couverts. La paroi en bois de l’abri où j’entrepose mes outils est en partie masquée par un crépi noir. J’entreprends de rassembler à la pelle, sous la pluie, tout ce qui a échappé au tas principal. A ce moment, un souvenir d’enfance remonte et s’impose. Quand nous savions assez bien lire pour explorer les dictionnaires, longtemps avant les mots vagin, pénis ou clitoris, le mot visé par nos premières recherches était “merde”. Le dictionnaire encyclopédique Quillet de mon père illustrait ce mot avec le dicton “plus on la remue, plus elle pue”. Impossible de ne pas y penser. Heureusement par la suite, l’odeur s’est atténuée, ou je me suis habitué au point de ne plus la sentir. Pourtant le tas rassemblé a été protégé de la pluie par des enveloppes de matelas en plastique transparent, bien calées par de grosses pierres.
Lasagnes, cartons, tranchées, patates et tomates
J’utilise le migon de trois manières. La première est le tas-lasagne à 4 composantes : bois fragmenté/migon/argile pulvérulente/marne, encadré par des palettes de récupération, pour réaliser un compost. La deuxième consiste à en répartir une couche directement sur une partie de prairie qui sera cultivée l’an prochain, le migon est recouvert ensuite par des cartons tenus par des pierres ; comme le carton ondulé n’est franchement pas plaisant à l’oeil, le tout est dissimulé par de l’herbe coupée. La troisième manière est plus expérimentale ; pour un usage immédiat, je creuse des tranchées profondes de 15 à 20 cm et je les remplis de migon. Elles seront encadrées aussitôt par deux rangs de pommes de terre ; dans un cas un des rangs sera un alignement de tomates. Certaines tranchées remplies sont recouvertes d’une fine couche de marne, d’autres non. L’idée qui motive cette variante est que si la marne n’améliore pas l’incorporation du fumier, j’aurai moins à marner la prochaine fois. Les racines des Solanacées ne craignent en principe pas les matières organiques mais elles pourront ainsi aller chercher ce qui leur convient, je ne les contraint pas au contact avec le fumier trop frais. J’avais pratiqué avec succès cette méthode, trouvée dans une revue de jardinage, en remplissant la tranchée de débris végétaux, tontes de gazon et épluchures ; par la suite on n’arrose que la tranchée. Cela a assez bien marché aussi avec le migon.
(à suivre)
P.S. Pour la première année en 2013 j’aurai des potimarrons de taille quasi-commerciale. Depuis la publication de cet épisode en 2011 j’ai aussi enrichi ma pratique de l’engrais azoté avec le produit de nos toilettes sèches, mélé aux épluchures et restes de cuisine. Ce compost est préparé séparément pour en éviter l’usage au potager mais une cucurbitacée monstrueuse en est sortie spontanément cette année. Si l’arrivée du froid n’est pas trop précoce, nous devrions récolter deux ou trois courges (potimarrons ?) de belle taille.
(1) Le sol, la terre et les champs par Claude et Lydia Bourguignon. Editions Sang de la Terre, Paris, 2009.