Un drôle de type ce Méheut. Un peintre aux mains calleuses, qui savait manier l’aviron et l’écoute en chanvre aussi bien que le pinceau. Sa peinture sent la marée et le coaltar. J’oubliais de commencer par l’essentiel: c’est un Breton, un Breton des Côtes du Nord devenues d’Armor. Il a peint la Bretagne avant qu’elle ne bascule dans la modernité des supermarchés. Il a peint la vie marine à basse mer, avant que les nitrates des usines de porcs ne l’engluent dans les algues vertes. C’est un inconnu pour les Français. Il était contemporain de Picasso mais il l’ignorait. Ils peignaient la mer: ils s’appelaient Marin-Marie, Brenet, Chapelet, Baille. Haffner et une centaine d’autres. Aujourd’hui ils s’appellent Jean-Loup Eve, Yvon Le Corre… Il a participé à la boucherie de 1914 et a raconté les tranchées et les insectes qui ignoraient la folie des hommes, et l’exécution sommaire d’un pauvre type qui avait compris qu’on l’envoyait au massacre. Il a visité le temple sur l’eau de Miyajima au Japon et son torii rouge, mais surtout il a regardé le bas de l’eau et l’a peint avec minutie et passion: les crustacés, les algues, les anémones de mer , les lamellibranches… Il nous l’a révélé. Allez le voir au Musée de la Marine, sauvé d’un déménagement imbécile.
Ses leçons de mer ne nous racontent pas des régates ou des courses mais la patience des poissons, des herbes flottantes, des courants de marée. Né en 1882 à Lamballe, près de Saint-Brieuc, où se trouve encore le musée qui lui est consacré. Après des études au Beaux-Arts de Rennes, il passe deux années à Roscoff au Laboratoire de biologie marine ou il se familiarise avec la faune et la flore des eaux salées. Il publiera deux volumes de croquis et d’aquarelles de ces merveilles de la vie. Sa carrière d’artiste sera extrêmement productive : Huiles, gouaches, aquarelles, céramiques, vaisselle et l’illustration de dizaines de livres, de Loti à Colette, de La Varende à Dorgeles. Il décora les murs du restaurant l’Huitrière à Lille et dessina la vaisselle du Restaurant Madame Prunier à Londres et la vaisselle du paquebot Normandie. Il est mort en 1958. C’est notre contemporain.
Alain HERVE