par Ghislain Nicaise
4- La ronce (La Gazette des Jardins n° 86, Juillet-Août 2009)
Entre les arbres fruitiers permanents et les produits annuels du potager, il y a un moyen terme, ce que les livres de jardinage appellent parfois “les petits fruits”, produits par des arbustes ou des lianes. Pour moi ils présentent plusieurs avantages : un trou de plantation plus réduit, moins de compost, une production dans les deux ou trois ans à venir.
Une espèce arbustive présente sur notre terrain, avant d’y avoir planté quoi que ce soit, donne déjà des petits fruits : c’est la ronce, Rubus fruticosus (Fig. 1. Les mûres de la ronce, aquarelle de Vincent Jeannerot). Certaines publications parlent de mûrier (1) mais je crois qu’il vaut mieux réserver ce terme à l’arbre dont les fruits sont aussi appelés des mûres, d’aspect plus ou moins similaire au fruit de la ronce. Les mûriers appartiennent à la famille du figuier (les Moracées). Ils n’ont rien à voir avec les ronces qui sont de la famille de l’églantine et du pommier (les Rosacées) et qui en ont les belles fleurs toutes simples. J’ai aussi le projet de planter un jour des mûriers-arbres sur le terrain mais ce n’est pas l’objet de cet épisode.
Les ronciers
Les mûres de roncier ont été notre première récolte, quelques jours après notre acquisition. Une récolte assez joyeuse, avec la rencontre de dames du village aimables qui nous laissaient dignement récolter une partie des fruits de notre propriété. Un ami me faisait remarquer que les mûres sont un des rares fruits sauvages de notre pays, c’est en tous cas le seul aux environs immédiats. Est-ce la raison pour laquelle on ne peut pas vraiment se les approprier ? Sans cette récolte, j’aurais peut-être tout rasé à la débroussailleuse. Les ronces forment trois massifs sur notre terrain, un à la lisière de la forêt, près de la maison, un autre exposé au sud-ouest sur le talus qui sépare l’espace plat “potager” de la prairie en contrebas et un troisième dans le lopin situé de l’autre côté du chemin goudronné qui dessert le hameau. A la réflexion, il n’est plus question de les supprimer, c’est une ressource pour nous mais aussi pour toute une faune qui y trouve son compte.
“(Les) ronciers sont des refuges extraordinaires pour toute la petite faune : lézards, serpents, petits mammifères, .. De nombreuses espèces de passereaux affectionnent les ronciers : bruant jaune, fauvette grisette, fauvette à tête noire, hypolaïs polyglotte, pie-grièche écorcheur, … Enfin, de nombreuses espèces d’insectes dont des chenilles se nourrissent des ronces, de leurs feuilles et de leurs tiges.”. Sur le site de l’Académie de Clermont-Ferrand qui m’a procuré cette citation on trouve aussi que le coeur des vieux massifs de ronces prépare le retour de la forêt, ce n’est pas vraiment mon but mais c’est sympathique.
Une façon de gérer ces massifs de ronces serait de ne rien faire du tout, après tout la cueillette est la seule manière vraiment écologique de prélever nos aliments sur le milieu. Mais bon, il faut vivre avec son temps, la révolution néolithique a déjà 12 000 ans et j’écris pour un journal de jardiniers, pas de chasseurs-cueilleurs. D’ailleurs le centre du roncier est difficile d’accès, les fruits parfois si petits qu’ils découragent la cueillette. Une taille devrait remédier à ces deux inconvénients. Chaque fois que l’on veut tailler il faut d’abord comprendre le mode de végétation. Pour les ronces il se fait en deux ans (Fig. 2, Fig. 3). Plutôt que de paraphraser l’excellent site de l’Académie de Clermont, il est plus honnête de les citer directement :
Les tiges émergent au printemps à partir de la souche vivace. Elles sont alors entièrement herbacées, vertes et toutes tendres : on parle de turions (comme chez les asperges par exemple). Ces tiges s’allongent rapidement et restent dressées dans un premier temps ; rapidement, dès qu’elles atteignent un mètre, elles commencent à se ployer tout en commençant à se lignifier, c’est-à-dire à acquérir du bois et devenir des « sarments » souples. En fin d’année, la tige a pris la forme d’un arceau qui touche le sol à son extrémité…
Deuxième année :
La tige s’enracine à l’endroit où elle a touché le sol : on dit qu’elle se marcotte. Un bourgeon à l’extrémité va engendrer une nouvelle tige qui repart en avant pour faire un nouvel arceau d’ici l’automne prochain. Pendant ce temps, durant l’été, le premier arceau peut fleurir et fructifier ; le plus souvent, il va ensuite sécher et mourir, prenant alors un aspect marron et brillant très caractéristique. Mais il peut encore persister un an et refleurir à nouveau l’année suivante.“. La figure 2 illustre à la fois la description faite par le site de l’Académie de Clermont et la taille que je propose.
Nous sommes au début d’Avril. Je vais complètement supprimer les tiges mortes, qui gênent beaucoup la progression (Fig. 3A), les tiges trop petites, ainsi que les tiges qui ont déjà fructifié, repérables au fait qu’elles sont ramifiées. Je taille les tiges vigoureuses de l’année (non ramifiées) aux deux-tiers de leur longueur (Fig. 2, Fig. 3A). J’en attends trois avantages : une circulation facilitée pour la cueillette, de plus gros fruits, et l’arrêt du marcottage. Nous n’avons pas besoin d’un immense champ de ronces.
Fig. 3. Bordure du massif de ronces près de la maison. A. Le 13 Avril, 3 ou 4 tiges vigoureuses d’un an ont été dégagées et raccourcies, le massif à gauche donne une idée de l’état initial. B. Le 10 Juin, les 3 tiges d’un an se sont ramifiées et portent des bourgeons florifères.
Il est clair qu’il faut tailler avant la reprise de végétation si l’on veut comprendre ce que l’on fait. Pour reconnaître aisément les tiges d’un an, il faut qu’elles ne soient pas encore ramifiées. J’ai commencé la taille des deux massifs les plus proches de la maison mais n’en ai terminé aucun des deux avant la pousse du feuillage nouveau qui ralentit considérablement le travail, de plus je n’ai plus la patience qui serait nécessaire alors que des tâches multiples de plantation m’attendent ailleurs avec l’arrivée de la chaleur et des jours longs. Je n’aurai qu’à finir l’hiver prochain.
Je sais que je vais détruire des niches à insectes en supprimant les tiges mortes et que j’appauvris le sol en exportant tout ce que j’enlève mais, après broyage, tout cela permettra de couvrir le sol autour de mes cultures plus précieuses et rien ne m’empêche d’en retourner au roncier plus tard si l’expérience a été gratifiante.
Les livres de jardinage (1, 3) font assez peu de cas des ronces sauvages, qui sont d’ailleurs plus nombreuses que les quelques lignes qui précèdent ne le laisseraient supposer. Il y aurait plus de 350 espèces de ronces dont plusieurs en Europe (4), j’ai supposé que la mienne était R. fruticosus, c’est la plus banale, mais je n’ai pas vérifié. La plupart des variétés améliorées offertes par les jardineries sont des hybrides. Le site pommiers.com en recense 23. La vigueur hybride se traduit par de plus grandes tiges, jusqu’à cinq mètres, et de plus gros fruits, pas toujours très savoureux.
En errant justement dans une jardinerie j’ai acquis un beau plant de mûres sans épines, malheureusement sans référence de variété. Je le plante en me servant de la clôture comme appui, je remplis le trou de plantation de compost maison monté de Nice, et j’entasse au pied un épais couvert de broussailles broyées. Si cette mûre sans épines est peu autofertile, elle devrait trouver son compte de pollen dans le proche environnement, d’autant plus que les abeilles n’ont pas encore disparu dans un environnement heureusement négligé par l’agriculture moderne. Le plant semble avoir plus d’un mois d’avance sur les ronces épineuses locales mais il vient du chaud, si cette avance se maintient après un hiver, cela aura l’avantage d’étaler les récoltes.
C’est la fin de l’ épisode mais la prochaine fois nous verrons une autre espèce de Rubus, plus jardinistiquement correcte, le framboisier.
(à suivre)
(1) M. Caron 2002. Le verger. Eds Ouest-France. 266 p.
(2) http://www3.ac-clermont.fr/pedago/svt/pagex.php?rubrique=8&num=548
(3) A. Pontoppidan. 2008. Fruitiers au jardin bio, arbres et arbustes. Terre Vivante. 206 p.
(4) S. Tilliard. 1998. Myrtilles, groseilles et fruits des bois. C.T.I.F.L. 127 p.