par Ghislain Nicaise
Le Monde du 3 avril à publié une tribune libre de Dominique Simonnet dans laquelle l’essayiste écrit cette phrase surprenante : “Alors, disons-le clairement : l’écologie politique n’existe pas !” et plus loin “elle ne se situe pas dans le jeu politicien. telle n’est pas sa nature. L’écologie est culturelle, sociale, philosophique peut-être, voire poétique. C’est une pratique, un regard porté sur le monde. Ce n’est pas une politique.” Je vais essayer sans être trop long d’expliquer en quoi cette position relève du déni de réalité.
Je me suis déjà exprimé ici sur l’utilisation des mots écologie et écologistes en écrivant que comme d’autres auteurs je préférais réserver les termes d’écologie et d’écologues à la science, ceux d’écologisme et d’écologistes à la politique. Cependant ce choix de vocabulaire, qui me paraissait utile, n’a pas été généralisé et je m’en tiendrai au terme d’écologie politique, qui prévaut par l’usage et que tout le monde comprend.
D’abord l’écologie politique tire sa substance d’un ensemble de réflexions originales, publiées dans des livres dont j’ai récemment évoqué l’abondance et la diversité en me limitant aux auteurs français qui militent au sein d’EELV, Europe Ecologie-Les Verts (voir ici).
Ce n’est pas une simple mode d’intellectuels français. Pour ne citer que des auteurs anglophones traduits dans notre langue, on peut se reporter à la production abondante de Jeremy Rifkin, aux livres co-signés par Amory Lovins et surtout il me semble difficile d’ignorer l’ouvrage crucial de Tim Jackson : “Prospérité sans croissance : la transition vers une économie durable”. En élargissant un peu l’investigation, j’aimerais que l’on m’explique en quoi “Effondrement. Comment les sociétés décident de leur disparition ou de leur survie” de Jared Diamond n’est pas de l’écologie politique.
Les élus sans la théorie seraient peu de choses mais venons-en aux élus, que l’on se plait à désigner comme politiciens lorsque l’on n’est pas d’accord avec eux.
L’écologie politique est aussi une pratique.
L’écologie politique vit quotidiennement en France à travers l’action de centaines d’élus. Ils comptent à leur acquis plusieurs succès qui ont eu de l’écho en dehors de leur agglomération comme la remunicipalisation de l’eau à Grenoble, qui fait que l’eau du robinet est maintenant meilleure que l’eau en bouteille, ou les bus marchant au biogaz à Lille pour me limiter à ceux qui me viennent spontanément à l’esprit. Rien que pour rendre compte du bilan d’André Aschiéri à Mouans-Sartoux, il faudrait plusieurs articles comme celui-ci. Il se proclame ouvertement de gauche (pour lui il y a une différence avec la droite) mais est réélu massivement par un corps électoral qui vote majoritairement pour le candidat de droite aux élections présidentielles.
En bon français, on peut décrier les actions, les insuccès ou l’éthique supposée défaillante de nos élus mais si l’on veut bien regarder au delà de nos frontières, on est obligé de conclure que l’écologie politique est internationale. Il y a des partis et des élus verts dans le monde entier. Ils ont depuis plus de dix ans une charte mondiale. En Finlande récemment le candidat vert (Pekka Haavisto) est arrivé au 2e tour de l’élection présidentielle. Si l’on s’intéresse à la politique étrangère, une préoccupation qui selon Dominique Simonnet ne serait pas familière aux écologistes hexagonaux, on a forcément entendu parler de Marina Silva, membre du parti Vert, sénatrice et ministre au Brésil. Aux journées d’été de Nantes, démarrage d’EELV, j’ai vu à la tribune une membre du parti vert Russe qui risque sa vie pour défendre une forêt, acclamée debout. Est-il besoin d’insister sur l’arrêt du nucléaire en Allemagne, victoire s’il en est de l’action des Grünen, de l’écologie politique allemande…
Si vous convenez avec moi que l’écologie politique existe, cela ne veut pas dire automatiquement que la ligne politique choisie par la majorité d’EELV est celle que je choisirais, ni que le parti qui incarne l’écologie politique française sera un jour aux manettes pour appliquer son programme. De toutes façons, il est pour moi positif que le parti Vert ait servi de laboratoire d’idées pour des prises de position que l’on retrouve maintenant dans les programmes de plusieurs candidat-e-s. J’ai tendance à considérer les départs de militant-e-s au PS, au MODEM ou au Front de Gauche comme de l’essaimage et non comme de la trahison. Contrairement à ce que l’on pourrait observer sur le miroir déformant des élections présidentielles, l’électorat favorable à l’écologie politique me parait assez stable, aux alentours de 15 %, en France, au Royaume Uni ou en Allemagne : je prends ces trois exemples pour souligner combien le système électoral peut influer sur le nombre d’élus. Le pire système est clairement le système anglais du scrutin majoritaire à un seul tour qui a empêché durablement les militants d’accéder aux responsabilités dans ce pays. Mais je voudrais pousser un peu plus loin le raisonnement : ce n’est pas avec ces seuls 15 %, particulièrement vulnérables au vote “utile”, que l’on dirigera le pays. Ce ne devrait pas être non plus avec des alliés obnubilés par l’utilité postulée de la croissance du produit intérieur brut. Toutefois l’échiquier politique à l’instant où nous sommes n’est pas inscrit dans la durée : il est probable que la situation sera bouleversée à court ou moyen terme par la raréfaction des ressources, en particulier pétrolières. Il est difficile de prédire quelles en seront les conséquences politiques. Ce qui est certain c’est que pendant la période longue de décroissance qui nous attend, la réduction des inégalités sera prioritaire, ce qui, en restant simplement pragmatique (qui a envie de voir des scènes d’émeutes et de pillage ?), dicte les alliances.
Ghislain Nicaise