La sortie en février 2010 du livre d’Elisabeth Badinter “Le conflit, la femme et la mère” a suscité de nombreuses réactions, en particulier de femmes de la mouvance écologiste, hostiles à la vision de l’auteure.
Cet essai suggère que le modèle actuel de la maternité, influencé en particulier par une “offensive du naturalisme” serait un obstacle à l’égalité homme-femme. La réaction des “naturalistes” a été rapide et à mon avis très pertinente, une recherche rapide sur internet avec les mots clefs “vertes de rage” permet d’en juger.
Il apparait qu’E. Badinter ne s’est pas posé la question de savoir pourquoi les mouvements écologistes semblaient permettre une meilleure émergence de cadres femmes et elle dénonce sans plus d’hésitation ces femmes comme des obstacles à la cause du féminisme.
Qu’il soit permis à un homme, féministe par son éducation et par choix assumé, d’apporter son grain de sel dans cette controverse.
Le drame des couches culottes
Une partie du débat porte sur les couches culottes jetables. Elisabeth Badinter en veut aux écologistes de critiquer cet accessoire d’une maternité moderne. Ayant eu le privilège de prendre ma part aux changes de deux enfants, je m’autorise une incursion technique sur ce sujet. Il peut être utile de rappeler que les couches jetables d’aujourd’hui sont généralement formées d’une partie externe imperméable en plastique doublée d’une partie interne absorbante. Lorsque la couche a rempli son office, ou pour le formuler autrement lorsque le bébé a rempli sa couche, on enlève la couche saturée et on replie le tout en un paquet, fermé par les parties adhésives qui maintenaient la taille. Le déchet ainsi produit est déplorable, difficilement recyclable et, si l’on en est resté aux incinérateurs, mauvais combustible. Lorsque notre ainée était bébé, à la fin des années 1960, les couches jetables composées d’une partie absorbante étroitement solidaire d’une enveloppe plastique n’étaient pas encore sur le marché. Les couches en tissu, lavables, qui à cette époque étaient la solution habituelle, ne me semblent pas une solution écologique satisfaisante, trop dispendieuses en eau et en main d’oeuvre. La manipulation est en outre désagréable. Sept ans après, à la naissance de notre cadet, nous avons pu tester une plus grande variété de systèmes. Celui qui me semble devoir être retenu est l’association entre une partie absorbante cellulosique et une enveloppe imperméable indépendante. La partie absorbante souillée, biodégradable, se composte remarquablement vite et donne un compost inodore d’excellente qualité, et la partie imperméable se rince et sèche facilement. Je me souviens avoir récupéré dans le compost mûr de fines enveloppes en mailles synthétiques non biodégradables qui dans certaines marques avaient enveloppé la partie absorbante. Ce tri ultime n’était pas contraignant. Cette histoire de couches me semble exemplaire des solutions techniques que peuvent choisir les écologistes qui sont rarement le retour au passé, comme l’a dit récemment en substance Cécile Duflot “nous ne somme pas pour le retour à la lampe à huile, cette solution est trop polluante”.
Elisabeth Badinter s’en prend aussi à l’allaitement, alors que le taux d’allaitement à la naissance est en France de 50 % et que les pays scandinaves en sont à plus de 90 %. En Europe seule l’Irlande a un taux plus bas que la France. Il peut être utile de rappeler qu’en Suède il y a 46 % de femmes au parlement contre 10 % en France. La corrélation entre allaitement et parité ne semble pas aller dans le sens des thèses d’Elizabeth Badinter.
Le rejet par Elisabeth Badinter de toute notion d’instinct de reproduction est respectable philosophiquement, mais ne me semble pas réaliste. Elle constate que de nombreuses femmes n’ont aucune envie d’enfant et elle en déduit qu’il n’y a donc pas d’instinct. Cette thèse a fait l’objet d’une controverse intéressante entre Elizabeth Badinter et une anthopologue membre de l’Académie des Sciences américaine, Sarah Blaffer Hrdy.
La partie de la population qui se reproduit ne le ferait-elle que par conformisme social ou culturel ? Pour avoir eu moi-même, particulièrement pendant toute ma jeunesse, envie d’enfants, j’ai peine à croire que cette envie m’ait été inculquée par mon éducation. On peut se risquer à affirmer que les personnes qui ont envie d’enfants laissent plus de descendance que les personnes qui n’en ont pas envie : cela ne relèverait-il que de la culture et pas un peu de la biologie ? On touche là au vieux débat de l’inné et de l’acquis. L’hypertrophie du cerveau humain a sans doute perturbé bien des fonctions biologiques mais cela ne signifie pas pour autant qu’elles aient disparu.
Le “plafond de verre” qui empêche les femmes d’occuper des positions dominantes dans notre société résulte peut-être en partie de la maternité mais certainement aussi d’autres facteurs, qu’ils soient innés, acquis ou un peu des deux comme souvent dans notre espèce. En tant qu’universitaire j’ai à plusieurs reprises participé à des concours de recrutement qui opposaient un homme et une femme, émergeant au dessus du lot des candidat-e-s. J’ai en mémoire deux cas où la femme l’a emporté alors que dans ces deux cas (selon mon jugement) l’homme était un meilleur chercheur et même potentiellement meilleur enseignant mais manquait de confiance en soi. La femme par contre était dans les deux cas une battante, plus extravertie, avec une agressivité joyeuse qui a emporté l’adhésion du jury dont je peux dire sans risquer de le calomnier qu’il n’était pas composé principalement de féministes. A noter que ces deux femmes sont mères de famille. Ces cas remarquables sont confortés pour moi par les cas plus fréquents où un homme médiocre mais content de lui l’emportait sur des concurrents, hommes ou femmes, plus capables mais plus modestes. Je vous laisse le soin de décider si ces concours de recrutements d’universitaires sont ou non à l’image de ce qui se passe ailleurs.
Ghislain Nicaise