par Jean-Noël Montagné et Ghislain Nicaise
Cas d’école : si les écologistes arrivaient aux commandes pour gérer la décroissance inévitable de la consommation énergétique et avec elle du PIB, il faudrait qu’ils affichent des priorités. La réduction des inégalités, je crois, ne fait pas discussion, mais le débat est moins simple dès que l’on se pose la question : “que faut-il préserver de la technostructure industrielle ?”. On aimerait bien par exemple que quelques ressources soient préservées, comme un peu de métallurgie pour faire tourner des usines de matériel électrique, de vélos ou de grelinettes. Le présent article est un plaidoyer pour conserver les ordinateurs. C’est un plaidoyer partisan qui pose comme acquis qu’il vaut mieux des ordinateurs que pas d’ordinateurs. Dans son dernier livre “La revanche de Gaïa” James Lovelock préconise de stocker le savoir dans des livres pour que l’on puisse s’en servir quand la civilisation se reconstruira, il pense que les ordinateurs ne peuvent stocker la masse de connaissances utiles car ils disparaitront dans la tourmente. Pouvons-nous imaginer qu’un mouvement militant s’oppose à ce destin ?
Il apparait tout de suite qu’on ne peut pas continuer à subir le mécanisme actuel de l’obsolescence programmée sur 2 ans, de l’inflation des capacités de mémoire, de la complexification des logiciels. Pour ne prendre qu’un exemple, une page de texte nécessite environ 3 ko de mémoire. Avec une version récente de M…t Office, il en faut 30 à 60 pour le même bénéfice-utilisateur.
Il faudrait rendre les ordinateurs plus durables, plus conviviaux, plus économes en énergie et en matériaux.
A une militante verte qui objectait la difficulté de maîtrise des logiciels pour une partie de la population, nous avons répondu que le problème de programmation était sinon résolu, du moins soluble. Il existe plusieurs millions de logiciels libres, avec le niveau de complexité ou de facilité que l’on cherche, et l’offre est telle que l’on peut se passer sans souci des logiciels propriétaires.
La seule existence de la communauté internationale des informaticiens défenseurs du logiciel libre est une preuve qu’un réservoir de militantisme efficace existe sur ce sujet. Le hardware pose plus de problèmes que le software.
Si l’on se réfère à la pensée d’Illich sur l’outil, un ordinateur devrait être
– sobre en énergie (avec un milliard d’ordinateurs dans le monde, le secteur informatique actuel contribue à 2% des émissions totales de gaz carbonique dans l’atmosphère : autant que les avions de ligne)
– robuste
– réparable par échange des pièces usées,
– entièrement recyclable
– assez simple pour que des parents puissent enseigner à leurs enfants comment l’utiliser et l’entretenir.
Cela semble à première vue excessivement utopique et pourtant…l’organisation à but non lucratif (charity) britannique Raspberry Pi construit et commercialise depuis 2011 un modèle d’ordinateur miniature à très basse consommation, moins de 1 watt en usage bureautique, 2 watts à fond (*), à très bas coût, moins de 40 euros pour le modèle haut de gamme, et moins de 5 euros pour le modèle de base, dont les plans et les fonctionnalités sont conçus collectivement autour des besoins citoyens, et non autour de l’écosystème croissanciste de l’informatique mondiale. La consommation électrique est si faible que micro- solaire, micro-éolien et énergie mécanique humaine suffisent pour alimenter l’ordinateur et son écran, ainsi que le montrent des centaines de projets sur le web.
Cet ordinateur s’inscrit dans un contexte pédagogique basé sur les ressources libres, des logiciels libres et des matériels libres. Il a été conçu dès le départ pour l’appropriation des outils informatiques par le grand public. Le succès est tel, que youtube dénombre plus d’un million trois cent mille vidéos d’apprentissage consacrées à cette plateforme, dans toutes les langues du monde.
Du point de vue Matériel, du point de vue du sourçage des matériaux, de la recyclabilité et réparabilité, la communauté Raspberry Pi (déja 5 millions d’unités vendues) pousse de façon constante vers des solutions plus éthiques pour les prochains modèles, inspirées par le modèle des téléphones portables Fairphone, dont tous les matériaux sont éco- et éthico-sourcés, et la réparabilité totale.
Avec l’introduction encore timide du mieux-disant environnemental dans les clauses des marchés publics, on peut espérer voir se développer de nouvelles pratiques de fabrication informatique. Une prise de conscience militante pourrait renforcer la vigilance en ce qui concerne les ordinateurs. L’érosion de la biodiversité est certainement plus préoccupante et il est encore un peu tôt pour que les militants prennent au sérieux la menace qui pèse à terme sur les ordinateurs et sur internet. Pourtant, dans le tourbillon de décroissance qui se prépare, la préservation de cet outil peut faire toute la différence entre un futur qui préserve les connaissances acquises et un simple retour au Moyen-Age.
JNM & GN
(*) contre 20 à 80 W pour un ordinateur portable, et 150 à 500W pour un ordinateur tour.