par Michèle Valmont
Surprise et incrédulité à l’annonce de la programmation de la Passion selon Saint Matthieu de J.S.Bach…au cirque d’hiver de Paris ! Certes, on avait déjà vu des Chrétiens dans l’arène, mais il y a bien longtemps.
Le choix du chef d’orchestre Xavier Ricour se révéle être fort judicieux. En effet l’œuvre fut écrite pour être jouée à l’église Saint Thomas de Leipzig qui contient deux tribunes opposées permettant l’emploi de deux chœurs et de deux orchestres. Le cirque d’hiver se prête parfaitement à cette reconstitution. Dans ce lieu aux velours rouges, aux lustres dorés, la magie opère : les deux orchestres séparés sur la scène circulaire, les deux chœurs dans les loges de part et d’autre du rideau central, les solistes disposés au-dessus d’eux, le chœur d’enfants au sommet de la pyramide, évoquant la montée au calvaire et, seul au milieu de la scène, Jésus, debout, nu pieds, vêtu de blanc. Grâce à l’intelligente scénographie de Claus Drexel, avec ses lumières éclairant à tour de rôle les intervenants, l’effet théâtral est saisissant.
L’orchestre symphonique de Paris est excellent, le pupitre des vents, largement sollicité, tout en nuances ; les solistes sont bons, particulièrement Marie Gautrot, alto au timbre velouté et sensible et Urszula Cuvellier, soprano à la voix chaude et sonore et, au-dessus de tous, le superbe baryton-basse de Norman Patzke, de l’opéra de Dresde, qui incarne un Jésus magnifique de profondeur et d’intensité. Les chœurs assurent vaillamment leur partie, malgré quelques attaques un peu floues et parfois un léger décalage dû à leur disposition éloignée.
Tout aurait été pour le mieux dans le meilleur des mondes si Xavier Ricour n’avait, sous prétexte de rendre le texte compréhensible au public français, purement et simplement supprimé le rôle de l’Evangéliste pour le remplacer par un récitant, l’excellent Didier Sandre dont le talent n’est pas en cause.
L’Evangéliste est sans doute, dans les Passions de J.S.Bach, le rôle le plus important. Il est le fil conducteur, le squelette autour duquel s’articulent les épisodes de la Passion. Il ne se contente pas de raconter, il chante, il psalmodie, il déclame. Comment ose-t-on nous priver de l’admirable « und weinte bitterlich », une des plus belles phrases musicales de Bach ?
Ce n’est pas être puriste que de crier à la trahison devant cette conception de l’œuvre, trahison envers Bach et même mépris du public. N’aurait-on pas pu tout simplement installer un système de surtitrage ?
Malgré cette impardonnable amputation, nous avons entendu de la belle musique et remercions Xavier Ricour de son audacieuse initiative.
Michèle Valmont
Prochaine représentation vendredi 6 avril à 20h au Cirque d’hiver